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mai 2021 —— Jean-Marc Warszawski.

Le duo Hyon-Sabbah : un gamin de Paris entre gouaille des faubourgs et lyrisme des beaux quartiers

Paris vagabond, Fabien Hyon (ténor), Juliette Sabbah (piano), œuvres de Joseph Kosma, Francis Poulenc, Reynaldo Hahn, Albert Roussel, Déodat de Séverac. Passavant 2021 (PAS 120281).

Enregistré les 15-19 septembre 2020, studio Passavant

On a l’habitude, parfois sans trop y réussir, de distinguer chanson, mélodie, romance ou Lied qu’on n’ose pas traduire par…. chanson ou romance ou mélodie ! Encore distingue-t-on dans la chanson celle qui serait populaire ou celle qui serait à texte dont on ne dit rien de la musique suggérant ainsi qu’une chanson populaire a nécessairement un texte médiocre. Il y a certes là des préjugés identitaires entre le salon bourgeois, les stars du contre-ut, le bal populaire, la guinguette, les hippies, soixante-huitards, rockers tous autant attardés les uns que les autres, les bobos, les enfants, les jeunes, les vieux, les intellos, les engagés politiquement… Mais ça se complique encore. Qui connaît en France une fabuleuse chanteuse comme Soetkin Baptist une rare pure interprète qui puise son répertoire dans le patrimoine populaire, dont la chanson française et comment expliquer le succès public d’un Johnny Hallyday ou plus avant d’un Yves Montant qui furent des chanteurs, techniquement parlant, quelconques. Le lobbying des majors du disque et l’incurie des médias n’expliquent pas tout. La chanson est un objet identitaire : dis-moi ce que tu écoutes, je te dirai qui tu es. Il y a aussi de quoi parlent les chansons. Georges Brassens prétendait qu’une chanson était d’abord musique, que les gens fredonnaient... Pas sûr qu’il avait raison. La chanson, dans le fond, si on ôte ce paramètre identitaire, n’a peut-être pas plus d’amateurs qu’il y en a pour la musique classique. Il reste qu’on sent bien des différences de lieux, d’attitudes d’écoute, de factures musicales et poétiques, d’ambitions, qui traversent la chanson.

Il me semble qu’il y a en France de la fin xixe début xxe siècle quelque chose qui se forme entre romance (ou mélodie) de salon et chanson populaire, notamment avec des chansonniers comme Paul Delmet et des musiciens « savants ». On ne peut imaginer meilleur exemple qu’Erik Satie avec sa célèbre chanson Je te veux. Ce n’est ni la grande scène lyrique ni les refrains à reprendre en chœur en fin de repas.

C’est ce répertoire du milieu que nous propose ce cédé, restreint au thème du gamin de Paris. Un album concept, comme on disait autrefois dans le rock progressif. Mais la célèbre chanson Un gamin de Paris, d’Adrien Mares et Mick Micheyl n’est malheureusement pas au programme, qui raconte pourtant ce que dit le beau texte de Victor Hugo placé en exergue du livret (intelligent). Ce répertoire, ni grandement belcantiste ni populaire premier degré, est peu couru, il est aussi difficile à interpréter, quant à l’authenticité de la prosodie et de la dramaturgie particulière, l’accentuation, souvent typée par l’époque. Hugues Cuenod y excellait, mais entre voix de scène et voix naturelle, les chanteuses et chanteurs lyriques n’y sont pas nécessairement à l’aise.

Natalie Dessay dans les chansons de Michel Legrand n’est pas probante, le baryton Mario Hacquard est plus convaincant dans son interprétation de Paul Delmet, signalons aussi l’enregistrement en 1993 des chansons de Jacques Prévert et Joseph Kosma par Jean-Louis Meunier et Françoise Tillard. Ce répertoire convient aussi aux comédiennes chanteuses comme Enikö Szilágyi dans les chansons de Kurt Weill, ou encore Milva, récemment décédée, ou Anna Prucnal. En fait de chansons, ce sont des scènes.

Le ténor Fabien Hyon, passé par le Conservatoire national supérieur de Paris, en résidence à la Chapelle Musicale Reine Élisabeth, consoliderait en ce moment sa présence sur les scènes lyriques, si les mesures stupides, prétendues sanitaires, du gouvernement n'avaient pas tout arrêté en vol. Il forme un très bon duo avec la pianiste Juliette Sabbah, ils réussissent un véritable projet musical, un délectable récital dans des chansons [?] romances [?] mélodies [?] de Kosma et Prévert, cinq poèmes de Guillaume Apollinaire et cinq poèmes de Paul Eluard mis en musique par Francis Poulenc, quatre pièces d’Albert Roussel et René Dommange, Reynaldo Hahn et Jean Mauréas et aussi Paul Collin, Déodat de Séverac et Paul Verlaine.

Le programme commence avec Kosma et Prévert dans une valse ballade accompagnant la Seine qui traverse les mystères de Paris en se la coulant douce jusqu'à la mer, passe entre autres par le savoureux portrait du cancre qui dit non avec la tête mais oui avec le coeur... Il dit oui à ce qu'il aime. Mais on revient à la mer, loin de Paris, avec La chasse à l’enfant (Kosma-Prévert), célèbre poème tout seul et chef-d’œuvre en chanson, qui ne raconte pas l’histoire d’un gamin de Paris, mais d’une mutinerie, en 1934, dans le bagne de Belle-Île-en-Mer, au cours de laquelle des enfants s’étaient échappés. La direction offrant vingt francs par enfant capturé, comme dit la chanson, tout le monde s’y est mis. C’est aussi cela la chanson: l’actualité. Marianne Oswald, comédienne et chanteuse élevée à Berlin, l’a créée en 1936 dans un pur style expressionniste, qui en chanson est cousine germaine du réalisme français. Plus tard les Frères Jacques en ont donné une magnifique version moins théâtrale, Mouloudji en a fait une ballade touchante. Fabien Hyon et Juliette Sabbah en donnent une interprétation théâtralisée avec retenue, ne lâchant rien de la technique lyrique, n’en rajoutant pas, restant dans l'esthétique cohérente du récital lyrique, ce qui d’ailleurs caractérise tout le programme. Cela fonctionne à merveille.

D’autres chefs-d’œuvre de ce couple mythique Kosma et Prévert sont au programme, comme Les enfants qui s’aiment, créés par Fabien Loris dans le film de Jean Carné Les portes de la nuit (1946), on oubliera l’horreur de l’interprétation de Tino Rossi ou la mélasse d’Yves Montant, mais pas celle de Juliette Gréco. Compagnons des mauvais jours, créés par Jacques Imbert en 1950, repris avec grand art par les Frères Jacques et récité plus récemment par Serge Reggiani. La grasse matinée est certainement la plus chargée en pathos et la plus émouvante, tragédie en un poème, sur fond de misère et d’injustice sociale. Peut-être le climax de ce cédé.

La musique de Poulenc s’accommode avec celle de Kosma, même si elle est un peu plus enjouée et parfois teintée d’humour, plus pensée pour l’art lyrique. Poulenc a composé 170 mélodies sur des poésies recherchées. Même si elles n'attirent pas grand monde, mais du beau monde, il y a là de véritables bijoux, et un sommet dramatique avec « Sanglots », le dernier numéro des Banalités (Apollinaire), que le compositeur a créées en 1940 avec le Baryton Pierre Bernac, les Cinq mélodies de Paul Eluard étant de 1935.

Un récital mené avec une évidente intelligence musicale et poétique, sous le patronage de Victor Hugo et de son Gavroche, ce qui ajoute au plaisir intellectuel, avec un brio impeccable, y compris côté piano, pas une patte de mouche de style qui nous fasse à un moment ou un autre sortir de l’enchantement.

 

1. Joseph Kosma, Chanson de la seine (Prévert), 2. Kosma, Le cancre (Prévert), 3. Reynaldo Hahn, Le marchand de marrons, (Jean Mauréas), 4. Francis Poulenc, Ce doux petit visage (Éluard), 5. Kosma, Chasse a l'enfant (Prévert), 6. Kosma, Les enfants qui s'aiment (Prévert), 7. Kosma, Jardin (Prévert), 8. Kosma, Paris at night (Prévert), 9. Albert Roussel, Jazz dans la nuit (Dommange), 10-14. Poulenc, Banalités, cinq poèmes de Paul Verlaine, « Chanson d'Orkenise », « Hôtel », « Fagnes de wallonie », « Voyage Paris », « Sanglots », 15. Hahn, Encore sur le pavé... (Paul Collin), 16.Kosma, À la belle étoile (Prévert), 17-21. Poulenc, Cind poème de Paul Eluard, « Peut-il se reposer », « Il la prend dans ses bras », « Plume d'eau claire », « Rôdeuse au front de verre », « Amoureuses », 22. Kosma, La grasse matinée (Prévert), 23. Déodat De Séverac, Le ciel est par-dessus le toit (Verlaine), 24. Kosma, Les oiseaux du souci (Prévert), 25. Kosma, Compagnons des mauvais jours (Prévert).

plume 7 Jean-Marc Warszawski
mai 2021
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Mercredi 5 Octobre, 2022 3:10