13 octobre 2021 —— Frédéric Norac.
Gioachino Rossini, Petite messe solennelle, Sandrine Piau (soprano), José Maria Lo Monaco (mezzo-soprano), Edgardo Rocha (ténor), Christian Senn (basse), Francesco Corti, Christiano Gaudio (pianos), Deniel Perer (harmonium), Chœur Ghislieri, sous la direction de Giulio Prandi. Arcana 2021 (A 494).
Enregistré à Padoue, du 12 au 16 janvier 2021.
Dans la note de présentation de cet enregistrement, Davide Daolmi, qui en a réalisé l’édition critique des deux versions (originale et orchestrée) pour la Fondation Rossini de Pesaro, explique avec beaucoup de clarté ce qui fait de la Petite messe solennelle, l’œuvre ultime et quasi testamentaire de Rossini, certes une œuvre à part et totalement originale, mais qui reflète profondément les préoccupations de son époque en matière de musique sacrée et la situe, comme le dit si bien le chef Giulio Prandi, « entre passé et présent ». L’éclectisme de ses différentes parties qui font alterner chœurs a capella dans la plus pure tradition palestrinienne, airs da camera, mélodies opératiques et contrepoint, son « preludio religioso » influencé par Bach (dont le vieux compositeur avait souscrit à l’édition des œuvres complètes pour clavier), ses passages fugués reflètent une volonté de trouver une nouvelle voie dans la musique d’église, dans le droit fil des tentatives de son ami Louis Niedermeyer, en mémoire de qui fut écrite la première version du Kyrie qui est le noyau premier de toute la composition.
Créée en 1864 pour la consécration de la chapelle privée de la famille Pillet-Will, la Petite messe est en effet comme une récapitulation de la carrière de Rossini qui avait quitté le devant de la scène depuis 1829, mais aussi l’aboutissement de longues années où le compositeur explora les ressources du piano et les petites formes de la musique vocale de chambre, composant des miniatures musicales qu’il réunit dans ses fameux albums des « Péchés de ma vieillesse » et auxquels il adjoignit cette messe, la qualifiant de « dernier péché mortel de ma vieillesse ». C’est du reste, comme le démontre avec beaucoup de brio cette version, le piano qui est l’instrument principal et qui non seulement accompagne, mais en fait réalise la continuité et l’articulation entre les différentes parties de la messe et dont le rôle culmine dans ce magnifique preludio religioso méditatif, placé entre le Credo et le Sanctus.
Contrairement à ce qu’annonce la pochette du disque, cette version n’est pas exactement la première réalisation à se baser sur l’édition critique, mais elle est certainement une de celles qui en restituent avec le plus de fidélité l’esprit et le caractère de piété intime. Car si la dédicace au « Bon Dieu »1, bien connue, a souvent fait penser qu’il y avait une certaine ironie dans la composition elle-même, peut-être faut-il plutôt y voir une forme d’interrogation et l’humilité d’un homme vieillissant devant le grand mystère dont il s’approche.
Le quatuor de solistes réuni par Giulio Prandi est exemplaire de simplicité et de couleur, ne jouant jamais dans un registre démonstratif, mais privilégiant l’intériorité et une expressivité sans affectation ce qui est singulièrement prégnant dès leur entrée dans le « Gloria ». Les deux voix féminines se marient parfaitement dans le « Qui tollis » et se révèlent très touchantes dans leurs airs solistes, « Crucifixus » pour la soprano et l’« Agnus Dei » conclusif pour la mezzo. Tous, de la basse chantante de Christian Senn jusqu’au brillant ténor Edgardo Rocha dans le « Domine Deus » qui est souvent réduit à un morceau de bravoure, évitent la sensation du numéro vocal, se fondant dans une conception d’ensemble que la direction avec des tempi modérés contribue à imprégner d’une religiosité authentique, mais jamais outrée et qui s’illustre magnifiquement dans le « Sanctus », mélange d’exaltation et tendresse. Si l’effectif choral ne respecte pas tout à fait les préconisations de Rossini — seize choristes à quatre par parties au lieu des huit auxquels sont censés se joindre les solistes — certains mouvements y gagnent en brillant et l’homogénéité et la transparence dans les passages a capella n’en sont pas affectées. La sonorité argentine des deux pianos d’époque (Erard et Pleyel), celle très douce de l’harmonium de Deniel Perer, le jeu perlé de Francesco Corti, sont autant d’éléments qui contribuent à l’impression d’authenticité et à la clarté de l’ensemble et en font une véritable version de référence.
1. « Bon Dieu. La voilà terminée cette pauvre petite messe. Est-ce bien de la musique sacrée que je viens de faire ou de la sacrée musique ? J’étais né pour l’opera buffa, tu le sais bien ! Peu de science, un peu de cœur, tout est là. Sois donc béni et accorde-moi le Paradis. »
Frédéric Norac
13 octobre 2021
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Mardi 12 Octobre, 2021 23:34