Cathédrale Saint-Louis des Invalides, 23 novembre 2021 —— Frédéric Norac.
Les Éléments, Saint-Louis des Invalides. Photographie © musicologie.org.
Moins connus que le ballet homonyme de Jean-Fery Rebel de 1737, Les Éléments de Destouches et Delalande, opéra-ballet créé en 1721 avec la participation du jeune Louis xv, sont une expression tardive du ballet de cour. Au fil de ses quatre entrées — L’Air, l’Eau, le Feu, la Terre — on n’y trouve pas, à l’inverse de ce qui caractérise l’œuvre de Rebel, de tentative pour créer une musique imitative ou descriptive, mais le synopsis de chacune d’entre elles fait jouer un rôle à l’élément concerné et le climat musical en suggère souvent la présence. Ainsi l’entrée consacrée au Feu, la plus développée dans ce concert, tourne-t-elle autour d’une Vestale, Émilie, séduite par Valère (prénom typique des amoureux du xviiesiècle), qui laisse éteindre le feu sacré sur lequel elle est censée veiller. L’Amour, personnage indispensable du genre, intervient bien sûr pour sauver la malheureuse, menacée d’être enterrée vivante, en rallumant la flamme sacrée.
Pour autant que l’on en puisse juger par cette version réduite d’une heure quinze, le plus intéressant dans cette partition, caractéristique de la première génération de l’opéra-ballet, réside dans la musique instrumentale et dans les danses. Les Surprises en petit effectif y brillent singulièrement, notamment du côté des bois (deux flûtes, hautbois et basson), où se distingue par sa virtuosité dans les traits rapides, le flûtiste Matthieu Bertaud. Précis et coloré, l’ensemble donne aux pieds une vive envie de marquer la cadence. La chaconne finale, d’une étonnante vivacité, offre un de ces beaux moments de jubilation où se fait sentir l’accord parfait entre les onze instrumentistes.
Malgré l’influence encore sensible du style lullyste et des carrures assez prévisibles, certains airs ne manquent pas d’originalité et d’expressivité. Il revient à trois solistes d’assumer les rares interventions du chœur et la totalité des rôles. Avec une voix large et dramatique, la soprano Eugénie Lefebvre donne une belle dimension au personnage d’Émilie dans l’entrée du Feu. Plus légère et flûtée, celle de Jehanne Amzal convient particulière aux personnages de confidentes et à celui de l’Amour. Quant au baryton chaleureux d’Étienne Bazola, il lui permet d’endosser avec style, élégance et une parfaite articulation, l’ensemble des rôles masculins et toute la gamme des basses-tailles.
Malgré le froid qui s’immisce peu à peu dans la nef de la cathédrale, le public, lui aussi assez réduit, fait un beau succès à ce concert donné dans le cadre de la Saison musicale des Invalides et « à l’occasion du 300e anniversaire de la mort d’Antoine Watteau ». Nous n’avons pas bien compris ce que l’un et l’autre ont en commun ni d’ailleurs ce que le peintre partage avec l’œuvre de Destouches et Delalande à part une coïncidence de date. Mais le plaisir de la musique n’a pas nécessairement besoin de prétexte ou de justification. En bis, l’ensemble offre avec à-propos un tambourin de Rebel et Francoeur d’une réjouissante vivacité.
Frédéric Norac
2021
Le voyage d’hiver « vécu » de Benjamin Appl — Bric-a-brac baroque : Cupid & Death de Matthew Locke et Christopher Gibbons — Un Onéguine plus franco-que-russe au Théâtre des Champs-Élysées — Volez, Zéphyrs : la pépinière de talents du Centre de musique baroque de Versailles.
Tous les articles de Frédéric Norac
norac@musicologie.org
À propos - contact | S'abonner au bulletin | Biographies de musiciens | Encyclopédie musicale | Articles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale | Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.
ISNN 2269-9910
Vendredi 26 Novembre, 2021 2:21