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Zurich, Opernhaus, 11 avril 2021 (streaming) —— Frédéric Norac.

Des Contes d’Hoffmann stylisés et graphiques

Opernhaus Zurich, Les contes d'Hoffmann. Photographie © Monika Rittershaus.

L’Opéra de Zurich poursuit imperturbablement sa saison 2020-2021 malgré la pandémie, offrant généreusement, en direct et en replay, les premières de ses nouvelles productions.

Celle des Contes d’Hoffmann, mise en scène par Andreas Homoki, se recommande par son classicisme de bon aloi. Dans un décor très graphique et simplifié à l’extrême, le directeur de la scène zurichoise nous raconte l’histoire des amours du poète aviné, dans un climat onirique entre cauchemar et fantasme qui correspond bien à l’esprit de ce conte fantastique. Sur la même plate-forme en déséquilibre, suspendue au milieu de nulle part, le poète revoit les trois femmes de sa vie — la poupée mécanique, l’artiste sacrifiée à son chant et la courtisane sans cœur — qui le conduiront à renoncer à l’amour et à se consacrer à l’art, sous l’égide protectrice de sa Muse, omniprésente sous les traits de son compagnon Niklausse.  Avec des costumes d’époque stylisés et une direction d’acteurs au cordeau, la production se révèle une très grande réussite dont la sobriété cache un luxe dans la réalisation, caractéristique des productions locales. Le chœur, capté tout comme l’orchestre depuis la salle de répétition à 1 km du théâtre, est incarné sur le plateau par un ensemble de figurants masqués, représentant une troupe d’étudiants tous sur le même format. Sur le plateau demeure tout au long de l’opéra ce tonneau (de Diogène ?) auquel Hoffmann, arrivé au premier acte au bout de sa dérive, doit ses hallucinations.

Opernhaus Zurich, Les contes d'Hoffmann. Photographie © Monika Rittershaus.

Débutant dans le rôle-titre, le ténor albanais Saimir Pirgu se révèle un Hoffmann très convaincant, même si dans cette tessiture aux limites du spinto, sa voix plutôt lyrique paraît souvent se durcir dans l’aigu et recourt à une émission tout en force lorsque le personnage exprime son désespoir. Le maquillage lui apporte cette touche d’usure physique qui donne une pleine crédibilité à son personnage de littérateur à la limite de la déchéance et de la folie. Autour de lui, la distribution ne démérite pas. Brillante l’Olympia toute en rose bonbon de Katrina Galka dont les variations et les passages incessants d’automate à jeune fille au cours de son fameux air des « Oiseaux dans la charmille » et la fixité du regard, sont impressionnants de vérité. Captivante l’Antonia toute en bleu d’Ekaterina Bakanova dont le superbe timbre de grand lyrique donne une dimension vraiment pathétique à la jeune fille prise dans ses désirs contradictoires. Implacable, la Giulietta dominatrice de Laura Fagan dans sa superbe robe rouge et noire sous son lustre de cristal, sans oublier la Stella d’Erica Petrocelli, rôle épisodique, mais distribué ici à une voix de haut niveau. Le beau mezzo d’Alexandra Kadurina donne un superbe relief à Niklausse dont le rôle, dans cette version basée sur la dernière édition de Michael Kaye et de Jean-Christophe Keck, retrouve toute son importance. Du côté masculin, si les petits rôles — Spalanzani, Crespel, Schlemihl, etc. — sont incarnés avec compétence par le fond de troupe de l’opéra, l’on citera particulièrement Spencer Lang dans les quatre avatars du valet dont la petite scène à l’acte III est un petit chef-d’œuvre théâtral miniature. Andrew Foster-Williams, d’une belle subtilité au plan théâtral, manque un peu d’étoffe vocale pour donner toute leur force à ses quatre incarnations des « diables » pour lesquels sa voix de baryton-basse paraît un peu trop claire. À quelques exceptions près, l’articulation française reste assez inégale, pour ne pas dire parfois tout à fait exotique, mais curieusement, ce qui n’est pas fréquent, semble s’améliorer, notamment chez le rôle-titre, au fil de l’action. Les sous-titres allemands (auxquels peut être substituée une version anglaise) n’arrangent pas les choses et parasitent souvent la perception directe du texte chanté.

Opernhaus Zurich, Les contes d'Hoffmann. Photographie © Monika Rittershaus.

À cette réserve près, il s’agit d’une fort belle version, bien dirigée par Antonino Fogliani. Malgré toute son intelligence théâtrale, elle ne réussit toutefois pas à rendre clair et dramatiquement convaincant l’acte de Venise, pierre d’achoppement de quasiment toutes les éditions d’une partition qui, même bien amendée comme c’est le cas ici, continue de porter la marque de son inachèvement.

Spectacle à visionner gratuitement en replay sur le site de l’Opéra de Zurich jusqu’au 30 avril.

Attention le premier quart d’heure est en plan fixe. Placer le curseur à 16:3 pour éviter d’attendre.

 

Frédéric Norac
11 avril 2021


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