bandeau texte 840 bandeau musicologie 840

4 février 2021 —— Frédéric Norac.

Callas à Mexico, 1950-1952 : les métamorphoses d’une voix

Maria Callas dans Les Puritains, Mexico, 1952. Photographie © D. R.

Dans les années cinquante, les grands « chanteurs » italiens assuraient annuellement à la fin du printemps et au début de l’été (de mai à juillet) une saison d’opéra dans les grands théâtres d’Amérique du Sud : Mexico, Rio de Janeiro, Sao Paulo, Buenos Aires… Maria Callas dont la carrière commençait à prendre son essor en Italie, mais qui ne devait s’imposer définitivement qu’à son entrée par la grande porte à la Scala en décembre 1952, avec la recréation du Macbeth de Verdi, participa de 1949 à 1952 à ces saisons dont le programme était pour le moins chargé pour la plupart des chanteurs, mais quant au sien, tout à fait stupéfiant.

Les saisons sud-américaines

En 1949, à Buenos Aires elle donna en moins de deux mois Turandot, Norma et Aida, le répertoire de soprano lirico-spinto qui était le sien alors. Rappelons qu’elle chantait à cette époque Wagner, en italien, bien sûr : La Walkyrie, Kundry dans Parsifal et même Isolde. En 1950, elle aborda à Mexico en un mois pas moins de quatre opéras (Norma, Aida, Tosca, Le Trouvère). Ce sont certes des opéras courants et des rôles dont la tessiture se situe entre soprano dramatique et lirico-spinto mais Leonora du Trouvère était une première à son répertoire et constitue un rôle très vocalisant comparé à Aida et à Tosca. En 1951, elle passa d’Aida à Traviata en une semaine à Mexico et chanta en septembre de la même année Norma et Traviata en alternance entre Sao Paulo et Rio. Enfin le programme de l’année 1952 est sans doute le plus intéressant, car il marque une rupture et un tournant dans sa carrière. En effet, si à la fin de cette saison, elle donna Tosca, ce fut pratiquement la dernière fois avant les années 1964 et 1965 où elle reprit le rôle au crépuscule de sa carrière. Entre le 29 mai et le 17 juin, c’est-à-dire en quatre semaines, elle chanta quatre opéras différents : Les puritains (29 mai, La Traviata (3 juin), Lucia di Lammermoor (10 juin), Rigoletto (17 juin). Sur ces quatre titres, deux constituaient des « prises de rôle », Lucia et Rigoletto, ce dernier étant du reste la seule et unique occasion où Callas interpréta Gilda sur scène et Lucia, le premier jalon d’une longue série d’incarnations de l’héroïne de Donizetti qui devait culminer en 1955 avec la production mise en scène et dirigée par Karajan.

 

Vincenzo Bellini, I puritani, Maria Callas (Elvira), Giuseppe Di Stefano (Arturo), Piero Campolongh ( Riccardo), Roberto Silva (Giorgio), Ignacio Ruffino (Gualtiero), Tanis Lugo (Bruno), Rosa Rimoch (Enrichetta), rquesta del Palacio de Bella Artes, sou sla direction de Guido Picco, Mexico, Palacio de las Bellas Artes, 29 mai 1952.


Giuseppe Verdi, La Traviata, Maria Callas (Violetta), Maria Callas (Violetta), Valéry Giuseppe di Stefano (Alfredo Germont), Piero Campolongh (Giorgio Germont), Cristina Trevi (Flora Bervoix), Gilberto Cerda (Il barone Douphol), Ignacio Ruffino (Il dottor Grenvil), Edna Patoni (Annina), Francesco Tortolero (Gastone), Alberto Herrera (Il marchese d'Obigny), Orchestra del Palacio de Bellas Artes, sous la direction d'Umberto Mugnai, Mexico City, 3 juin 1952.

Gaetano Donizetti, Lucia Di Lammermoor, Maria Callas (Lucia), (Giuseppe Di Stefano Edgardo), Piero Campolonghi(Enrico), (Roberto Silva Raimondo), Carlo Del Monto (Arturo), Ana Maria Feuss (Alisa), Francesco Tortolero (Normanno), Orquesta del Palacio de Bella Artes, sous la direction de Guido Picco, Mexico, Palacio de las Bellas Artes, 10 juin 1952.


Giuseppe Verdi, Rigoletto, Alberto Herrera, Carlos Sagarmínaga, Franscisco Alonso, Maria Callas, Orquesta del Palacio de Bellas Artes, sous la direction d'Umberto Mugnai, Mexico, Palacio de Bellas Artes, 17 juin 1952.


Les Puritains, 1949-1952

Les puritains quant à eux n’étaient pas une nouveauté. Callas les avait abordés en 1949 à la Fenice de Venise, à la demande de son mentor, le chef d’orchestre Tullio Serafin, en remplacement de Margherita Rinaldi souffrante. Elle assurait alors dans ce théâtre une série de Walkyries et la légende veut qu’elle ait appris le rôle en quelques jours (et sans doute quelques nuits). La performance parait aussi stupéfiante que si Birgit Nilsson s’était lancée, au milieu d’une série de représentations du Ring, dans Lakmé ou Olympia des Contes d’Hoffmann et elle avait fait un certain bruit dans le Landernau lyrique. Malgré les conseils de ne pas continuer ce genre d’acrobaties, Callas devait y revenir encore trois fois, en novembre 1951 à Catania, la ville natale de Bellini, en janvier 1952 à Florence, son premier fief avant qu’elle ne conquière la Scala de Milan, et à Rome en mai de la même année, juste avant son départ pour Mexico. Et lorsqu’elle grava en novembre 1949 six faces de 78 tours pour la firme italienne Cetra, son premier enregistrement officiel, elle choisit la Mort d’Isolde, le « Casta Diva » de Norma et la scène de la folie d’Elvira des Puritains, assumant ainsi les trois faces de sa nature vocale, un triple visage qui faisait d’elle ce phénomène mythique, le « soprano assoluto », tout à la fois grand lyrique, dramatique d’agilité, et colorature.

Richard Wagner, Tristan und Isolde, (Akt III), « Liebestod Aria ». Maria Callas, Orchestra Sinfonica di Torino della RAI, sous la direction d'Arturo Basile, enregistré les 8-10 novembre 1949, à Turin.
Vincenzo Bellini, Norma, acte I, « Casta Diva », Maria Callas, Ochestra Sinfonica di Torino della RAI, sous la direction d'Arturo Basile, enregistré les 8-10 novembre 1949, à Turin.
Vincenzo Bellini, I puritani, « O Rendetemi... Qui la voce »,  Maria Callas, Ochestra Sinfonica di Torino della RAI, sous la direction d'Arturo Basile, enregistré les 8-10 novembre 1949, à Turin.


Les dernières rencontres avec Les Puritains furent l’enregistrement de studio qu’en réalisa la Columbia en mars 1953, mais il y eut aussi un concert à la RAI de Milan en 1956 où elle chanta le finale de l’acte I avec chœurs et un autre à Dallas en 1957 dont on possède l’enregistrement de la répétition.

 


Vincenzo Bellini, I puritani, final de l’acte I, Maria Callas , Ochestra sinfonica e Coro di Torino della RAI, sous la direction d'Alfredo Simonetto.


Vincenzo Bellini, I puritani, « O rendetemi la speme », sous la direction de Nicola Rescigno, répétition, State Fair Music Hall, Dallas, 20 novembre 1957.


La métamorphose, Mexico 1952

Pourquoi monter en épingle cet opéra et ce rôle ? C’est qu’ils constituent la première brèche dans le répertoire traditionnel de grand soprano lyrique qui faisait la base des programmes des théâtres italiens, et auquel la grande voix de la « première » Callas, celle qui avait été engagée en 1947 pour chanter La Gioconda de Ponchielli aux Arènes de Vérone, semblait vouée. D’autres raretés montrent certes son attirance pour les rôles à colorature, Le Turc en Italie de Rossini en 1950, Les Vêpres siciliennes de Verdi et l’Orfeo e Euridice de Haydn en 1951 à Florence, Armida de Rossini l’année suivante et surtout, La Traviata, ce rôle des rôles, connu pour réclamer trois voix différentes, une par acte, qu’elle avait abordé en janvier 51. Mais en s’appropriant Elvira, comme du reste Lucia qui apparait dans son répertoire à la même période, en même temps qu’elle faisait évoluer sa propre voix, en l’allégeant de cette « huile noire » qui lui déplaisait tant, Callas réinventait le belcanto romantique, redonnant sa vraie nature à une héroïne que la tradition, à l’instar de Lucia, avait dévolue à des sopranos légers, ouvrant ainsi la porte à la renaissance de tout un pan de l’art lyrique et surtout à une autre conception des rôles à colorature.

Évidemment on peut se demander d’où venait à Callas cette connaissance d’une technique et d’un style perdus depuis un certain temps. Rappelons qu’elle avait été l’élève de 1939 à 1945 au Conservatoire d’Athènes d’Elvira De Hidalgo, un soprano colorature spécialiste des rôles belcantistes qui raconte comment sa jeune élève arrivait avec le premier étudiant et partait avec le dernier, s’imprégnant ainsi d’un répertoire très riche et de l’enseignement que prodiguait la chanteuse espagnole à toutes sortes de tessitures, développant ainsi à partir d’une voix entre mezzo-soprano et soprano dramatique, un registre aigu de plus en plus étendu, sans jamais sacrifier un médium naturel large et coloré que l’on peut encore entendre dans sa conception des rôles « colorature ».

Il serait sans doute un peu vain d’épiloguer sur cette métamorphose si nous ne possédions de nombreux enregistrements live de Callas et notamment de cette période. Ils sont beaucoup plus en phase avec son répertoire réel — « actuel » comme dirait les Anglo-saxons — que ne le sont souvent ses enregistrements de studio, plus liés à une volonté de créer un « catalogue » de la part du producteur Walter Legge qu’un reflet de sa carrière scénique. On peut y entendre, notamment dans ces Puritains, malgré un entourage, plus qu’inégal, à part la remarquable soprano mexicaine Rosa Rimoch dans le rôle épisodique d’Enrichetta et Giuseppe di Stefano, improbable en Arturo, mais que sauve son timbre sublime dans les aspects lyriques du rôle, cette voix sombre et brillante, en train de sortir de la gangue des rôles spinto, offrant une technique de vocalisation impeccable, une couleur et un phrasé qui donnent à Elvira son caractère poignant et poétique et à qui il faudra pardonner quelques suraigus risqués et facultatifs qui sont la marque de l’époque, à laquelle même les génies comme Callas qui en fut un pourtant en matière de style, ont bien du mal à échapper.

Toutes les illustration sonores cet article sont des enregistrements égélement consultables sur YouTube. La plupart sont actuellement dans le domaine public, à quasiment 70 ans de leur première diffusion à la radio. Il faut évidemment passer sur la qualité sonore de certains d’entre eux qui n’est pas si mauvaise, rapportée à leur intérêt documentaire.

plume 7 Frédéric Norac
4 février 2021


Les précedents articles de Frédéric Norac

La Dame blanche à l’Opéra de Nice : un fantôme bien vivantAlfred Bruneau sans Émile Zola Les joyeux moutons de Titon : Titon et l'Aurore de Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville à l'Opéra-ComiqueLe merveilleux bouquet de Melody LouledjanEntre streaming et espoir de réouverture : le printemps 2021 de l’Opéra des Flandres.

Tous les articles de Frédéric Norac
norac@musicologie.org

À propos - contact |  S'abonner au bulletinBiographies de musiciens Encyclopédie musicaleArticles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale | Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.

paypal
Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil - ☎ 06 06 61 73 41

ISNN 2269-9910.

bouquetin

Vendredi 5 Février, 2021 16:54