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28 septembre 2021 2021 —— Frédéric Norac.

Ambronay 21 : nouvelles suites

Avec cette 42e édition préparée par sa nouvelle directrice Isabelle Battioni et son équipe, Ambronay, qui avait été parmi les rares festivals à passer au travers des multiples confinements en 2020, retrouve un fonctionnement quasiment normal, n’était le passe sanitaire, le masque et des concerts réduits à une heure quinze, car nécessairement sans entracte, mais sans limitation de jauge. Pour ce troisième week-end, il offrait trois concerts en création, des cantates de Bach par les Arts florissants dirigés par Paul Agnew, un magnifique récital du contre-ténor Valer Sabadus ainsi qu’un programme expérimental associant la musique vocale baroque à l’électroacoustique et au « sampling ». Comme chaque année, le tout jeune public n’avait pas été oublié avec une version très réussie de la Boîte à joujoux de Debussy convoquant une comédienne, une marionnettiste et un quatuor de clarinettes.

Brillantes vêpres milanaises : I Gemelli, sous la direction d'Emiliano Gonzales Toro, Abbatiale, 24 septembre

I Gimelli, 24 septembre 2021. Photographie © Bertrand Pichène.

Le visage féminin qui apparaît sur l’affiche du festival est-il le signe que les « nouvelles suites » (titre choisi pour l’édition 2021) de la manifestation seront féminines ? Il est vrai que ses destinées sont désormais dans les mains d’une femme et que, petit à petit, dans le monde de la musique les femmes commencent à retrouver une place qui leur a longtemps été déniée sinon comme interprètes au moins comme créatrices.

Le programme de ce troisième week-end en tous cas pourrait le laisser penser qui offrait en ce vendredi les suites pour violoncelle seul de Bach par Emmanuelle Bertrand et les Vêpres de la Vierge d’une compositrice méconnue, Chiara Margherita Cozzolani.

Redécouverte par Mathilde Étienne et Emiliano Gonzalez Toro qui lui ont déjà consacré un disque (Naïve, 2019), cette musicienne milanaise, abbesse de Sainte-Radegonde entre 1620 et 1670, a publié de son vivant quatre recueils qui, dès cette époque, ont été salués comme d’authentiques pièces maîtresses et ont, semble-t-il, amené l’évêque de Milan à mettre un frein à une activité créatrice qui débordait un peu trop le cadre de la règle de saint Benoît. Dans ces vêpres, la musicienne se montre l’égale des grands polyphonistes du seicento dans des pièces d’une exigeante virtuosité, mais c’est sûrement dans les motets à la tonalité sentimentale et parfois à la limite du théâtre d’opéra que sa personnalité se fait le mieux sentir. Particulièrement représentatif de son style, le motet « O Maria, tu dulcis » dont Emiliano Gonzalez Toro restitue les mille nuances, sonne quasiment comme une déclaration amoureuse dont la sensualité étonne. Dans les passages polychoraux, les huit solistes des Gemelli rivalisent de virtuosité et, associés au petit ensemble instrumental (deux cornets, deux sacqueboutes, viole, théorbe et harpe soutenus par le continuo du positif de Violaine Cochard), restituent toute la flamboyance d’une musique qui s’enivre de sa propre exaltation. On s’étonne de retrouver dans cette œuvre « à usage conventuel » des voix d’hommes, c’est que la renommée de la compositrice ayant largement dépassé les limites du cloître, une version mixte de ces vêpres est attestée. Avec deux solistes par pupitre, la variété des voix dans chaque tessiture offre un riche nuancier aux pièces solistes et une grande variété de coloris aux ensembles. Pour faire bonne mesure, le chef a intégré à ces vêpres un « Duo seraphim » pour trois voix d’hommes (deux ténors et une basse) d’une compositrice de la génération précédente, également religieuse, Catarina Assandra (1590-1618) dont les œuvres publiées à Milan ont sûrement influencé Margarita Cozzolani.

Venise sans Vivaldi : Quatre violons à Venise, ensemble Clématis, abbatiale, 25 septembre

Ensemble Clématis, 25 septembre 2021. Photographie © Bertrand Pichène.

La musique instrumentale vénitienne dominée par le violon n’a pas attendu le xviiie siècle pour donner toute la mesure de son inventivité. Dès le xviie l’instrument suscitait déjà chez les compositeurs une veine d’invention sollicitant pleinement toutes ses ressources. Le programme de l’Ensemble Clematis en offre un florilège impressionnant de variété qui, de Giovanni Gabrieli à Giovanni Legrenzi, en passant par Marini, Salomone Rossi, Cavalli, Castello, Merula, Viadana, Ucellini, dresse un panorama complet des compositeurs de la génération qui précède immédiatement Vivaldi. Mené par le violon de Stéphanie de Failly et soutenu par un continuo où se rencontrent le positif, la viole de gambe et le basson, un ensemble de trois violonistes virtuoses décline les multiples facettes de l’instrument. Pièces solistes, à deux, à trois, à quatre, en ensemble, en écho, à double chœur, en canon, fuguées, alternées, les configurations paraissent inépuisables et les climats très diversifiés. Si la virtuosité ici est primordiale, le lyrisme n’est pas non plus tout à fait absent comme dans cette Canzon de Cavalli qui s’achève sur une passacaille où quittant le continuo, la viole de gambe se met à dialoguer avec les dessus. Ce programme a déjà fait l’objet d’un enregistrement sur label Ricercar, mais prend évidemment toute son ampleur dans l’acoustique brillante de la basilique et vaut un beau succès aux quatre virtuoses féminines et à l’ensemble.

Le baroque remixé : Qui-vive ! Compagnie Rassegna, Bruno Allary, L. Atipik, Salle polyvalente, 25 septembre

Compagnie Rassegna, Bruno Allary, L. Atipik, 25 septembre 202Photographie © Bertrand Pichène.

Ambronay cette année s’est lancé sur le terrain glissant de la mixité des styles. Après une rencontre entre la danse hip-hop et la musique baroque, c’est carrément un concert « fusion » que proposait la Compagnie Rassegna sous la houlette du compositeur et guitariste Bruno Allary, revisitant une douzaine d’airs dont quelques « tubes » du répertoire baroque avec la complicité de deux chanteuses instrumentistes, Clémence Nicias à la flûte à bec et à la flûte Paetzold, et Carina Salvada à la batterie, auxquelles se joignaient la guitariste et gambiste Nolwenn Le Guern et la DJ L.Atipik au « platinage » artistique (sic). Si certains puristes refusent même d’entendre parler de cette improbable rencontre entre des univers a priori si éloignés, avouons que cette heure un quart de dépaysement nous a plutôt séduit. Certes entendre « Zeffiro torna » de Monteverdi transformé en une sorte de danse kathakali ou le Lamento de Didon en slow américain a de quoi déconcerter, mais cette appropriation ne paraît jamais un détournement ni un gadget, elle redonne une certaine actualité à cette musique qui a des origines populaires. Elle s’appuie sur les similarités entre les deux univers où la danse n’est jamais très loin et où le mouvement répétitif de l’ostinato conditionne une certaine forme d’hypnose commune aux deux styles. L’ensemble construit comme une sorte d’objet fermé sur lui-même intègre deux interludes, dont un confié à la DJ entre les trois parties regroupant douze pièces du xviie autour de trois grands thèmes, l’amour, la folie et la mort, et un épilogue composé par Bruno Allary, sur un très beau texte de Théophile de Viau. Si la thématique elle-même échappe un peu au spectateur, c’est surtout le climat intemporel, inattendu et l’univers sonore inouï qui fait tout l’intérêt de cette expérience. Une rencontre organisée le lendemain du concert offrait l’occasion d’entrer dans les arcanes de l’élaboration de ce projet atypique et de comprendre une démarche aussi exigeante qu’audacieuse.

Le jeune Bach de Paul Agnew : Cantates de jeunesse, Les Arts florissants, Abbatiale, 25 septembre

Les Arts florissants, 25 septembre 2021. Photographie © Bertrand Pichène.

Paul Agnew est un interprète passionné et un homme de conviction. Avec ce programme, en création à Ambronay, consacré aux cantates de jeunesse de Bach, il entraîne les Arts florissants sur un terrain neuf et s’affirme d’emblée comme un chef capable de renouveler notre vision du futur Kantor de Leipzig. Non plus, comme il le dit lui-même, cet homme installé et figé que nous présente l’iconographie traditionnelle, mais un musicien avec une ferme volonté d’affirmer son talent et son originalité. Ce qui étonne le plus dans ces cantates (BWV.106 « Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit », BWV.150 « Nach dir, Herr, verlanget miich » et BWV 4 « Christ lag in Todesbanden »), c’est la brièveté des airs quasiment sans développement ni da capo, le plus étrange étant sûrement celui de la soprano « Ja, komm, Herr Jesu » (BWV 106) qui s’achève sur une sorte de suspension non résolue. La direction raffinée, attentive au moindre détail instrumental, révèle toutes les audaces harmoniques ainsi que la richesse de l’écriture vocale de ces trois cantates composées vers 1707-1708 à Mülhausen. Le petit effectif — huit chanteurs en incluant les solistes dans les parties chorales — sert magnifiquement la polyphonie et l’on reste étonné par la puissance à laquelle atteint cet ensemble limité associé à une formation instrumentale dont le plein effectif ne dépasse pas les huit instrumentistes dans les tutti en dehors de la basse continue assurée par le violoncelle, la contrebasse et le positif. Des quatre solistes on retiendra le soprano lumineux de Miriam Allan et le contralto immaculé de Maarten Engeltjes que le duo « Den Tod niemand zwingen kunnt » (BWV 4) réunit dans des hauteurs proprement célestes. Voix bien timbrée, mais limitée dans le grave, la basse d’Edward Grint déçoit quelque peu après les promesses de son premier air « Bestelle dein Haus » (BWV 106) plein d’autorité. On reste aussi un peu sur sa faim avec le ténor Thomas Hobbs, à la couleur agréable, mais à l’ambitus limité. Pour « contextualiser » ces trois cantates, Paul Agnew leur a associé une cantate de Kuhnau, prédécesseur de Bach à Leipzig, sur le même texte que la BWV 4 « Christ lag in Todesbanden » dont le style, proche de la musique française, plus mélodique avec de beaux interludes orchestraux et un triple arioso pour les solistes (contre-ténor, basse et ténor) ne manque pas de séduction. Au final, ce concert d’une grande hauteur d’inspiration et d’une perfection formelle accomplie semble une promesse pour d’autres (re) découvertes puisque le chef envisage de poursuivre cette relecture des cantates du tout premier Bach dans les années à venir.

Les sortilèges de la voix de contre-ténor : Miracolo d'amore, Valer Sabadus et l’Arpeggiata, Abbatiale, 26 septembre

Valer Sabadus et l'Arpeggiata, 26 septembre 2021.

À l’écoute de la voix haut placée à l’aigu puissant et pénétrant de Valer Sabadus, Valer Sabadus, on est presque tenté de le qualifier de sopraniste tant l’ampleur de sa voix et sa pureté impressionnent. Avec ce programme entièrement consacré au xviie siècle italien où Monteverdi, Cavalli et Luigi Rossi côtoient des compositeurs moins connus dont il a choisi des titres plus que rares : Il Nerone de Ziani, Totila et La Divisione del mondo de Legrenzi, L’Argia de Cesti et un air de Giovanni Felice Sances (sûrement le plus rare de tous), il parcourt toute l’étendue des registres possibles pour sa typologie vocale, de la berceuse sublime à la mélancolie la plus douce en passant par le persiflage ou la langueur amoureuse. Brillamment accompagné par l’Arpeggiata et singulièrement par le cornet à bouquin de Doron David Sherwin qui vient souvent doubler la voix ou dialoguer avec elle, le chanteur fait valoir un sens de la caractérisation qui lui vient du théâtre où il s’est abondamment illustré. Si le texte n’est pas toujours compréhensible, c’est que le médium est son registre le moins développé, mais l’expressivité de son chant et sa présence empathique et souriante compensent largement cette petite limite et il captive l’auditoire qui semble respirer avec lui. Pour offrir quelque temps de repos au soliste dans un concert assez dense qui réunit souvent deux a deux, ou trois à trois les airs, Christina Pluhar a choisi quelques pièces au rythme dansant, susceptibles de valoriser les six instrumentistes de son petit ensemble qu’elle dirige du théorbe : une follia et un brando de Falconero, deux canarios d’Allegri et de Kapsberger et une chaconne de Merula. Elle offre du reste à son percussionniste un petit excursus après la coda instrumentale d’un air de L’Ormindo de Cavalli qui, dans sa complaisante longueur, ne nous a pas semblé d’une totale pertinence. Mais ce goût pour l’improvisation est un péché mignon auquel se laisse souvent aller la cheffe autrichienne qui aime mélanger les genres et qu’on lui pardonne aisément au regard de la qualité des interprètes. En bis, le chanteur offre le très bel air de Monteverdi « Si dolce il tormento » et une reprise de la scène de Satirino de La Calisto de Cavalli, peut-être encore plus piquante que sa première interprétation avec ses registres contrastés.

Le concert Bach des Arts florissants et le concert de Valer Sabadus et de l’Arpeggiata sont disponibles sur la chaîne Culture Box de France Télévision.

Attention, il faut nécessairement supporter environ 1mn30 de publicité ininterrompue pour accéder enfin au programme musical. Vous pouvez dans le temps d’attente couper le son, il se rétablit automatiquement quand le concert commence.

 

plume 7 Frédéric Norac
28 septembre 2021


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Vendredi 1 Octobre, 2021 13:46