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12 décembre 2020 —— Frédéric Norac.

Sociologie de l'amour au xviiie siècle : Les voyages de l'amour de Joseph Bodin de Boismortier

Joseph Bodin de Boismortier, Les Voyages de l'amour, Chantal Santon Jeffery (L'Amour), Katherine Watson (Zéphire), Judith van Wanroj (Daphné), Katia Velletaz (Hylas, Lucile, Dircé), Éléonore Pancrazi (Béroé, Julie), Thomas Dollié (Thersandre, Adhertal, Un devin, Ovide), Purcell Choir, Orfeo Orchestra, sous la direction de György Vashegyi. Glossa 2020 (GCD 924009).

Enregistré le 17 novembre 2019, aux journée de musique ancienne de Herne (Allemagne).

Contemporain à un an près des Indes galantes, Les Voyages de l'Amour, (opéra)-ballet en un prologue et quatre entrées de 1736 en est également très proche par la thématique. Mais tandis que chez Rameau, le « voyage des amours » est géographique et comme qui dirait « ethnographique », celui de l'Amour de Boismortier, devenu ici protagoniste à part entière d'une action se développant sur quatre actes ,est plutôt « sociologique », l'amenant du « Village » à la « Cour » en passant par la « Ville » dans un itinéraire où  le Dieu et les avatars qu'il se suscite en guise de rival, met à l'épreuve la fidélité de trois héroïnes dans un jeu de dédoublement assez pervers  et qui fait parfois penser à certaines comédies douces-amères de Marivaux.

Si le prologue métaphorique où l'Amour s'entretient avec son compagnon Zéphyre de son projet et la première entrée « villageoise » paraissent un rien languissants et conventionnels, tout le piquant des situations commence à prendre corps dans les deux entrées suivantes et dans la dernière qui sert d'épilogue et voit le triomphe de la bergère Daphné et de l'amour campagnard, dépourvu de vanité et d'ambition. La musique de Boismortier n'est peut-être pas au niveau d'invention de son illustre contemporain, mais elle ne manque pas de charme et de variété dans les formes qu'elle emploie et qui regardent souvent du côté du genre sérieux, surtout quand elle est stimulée par le livret de Leclerc de La Bruère.

Son talent se fait sentir particulièrement dans les suites de danses qui émaillent l'action et la dégourdissent quelque peu, mais aussi dans la caractérisation des personnages qui, notons-le, sont incarnés exclusivement par des voix féminines (une curiosité que tente d'expliquer Benoit Dratwicki dans sa présentation), à part celui du rival du Dieu, confié dans chaque entrée à une basse (l'excellent Thomas Dollié). Ceci sans doute contribue à une certaine monotonie du prologue et de la première entrée où il n'est présent que de façon épisodique et qui fut déjà remarquée par les spectateurs de la création.

À part son ballet comique, Don Quichotte chez la Duchesse, exhumé par Hervé Niquet en 1997, on ne connaissait jusque là Boismortier qu'à travers sa musique instrumentale. Cette réalisation constitue donc une véritable redécouverte que l'on doit au travail d'édition du musicologue Julien Dubruque et au Centre de musique baroque de Versailles. Elle nous révèle toute la finesse et l'esprit d'un siècle moins superficiel qu'on l'imagine et d'un compositeur au métier remarquable, tant pour l'orchestration que pour la maîtrise de formes savantes et l'invention mélodique.

La deuxième entrée est ici proposée dans deux versions dont celle alternative, réalisée dans le mois qui suivit la création de l'œuvre, offre un livret et une partition entièrement renouvelée et paraît au moins aussi savoureuse que l'originale.

Servie par une distribution impeccable, où se fait particulièrement remarquer la jeune mezzo Éléonore Pancrazi dans ses deux rôles de Beroé, la mauvaise conseillère de la deuxième entrée puis dans celui de la vaniteuse Julie dans la troisième, cet enregistrement, dirigé de main de maître par György Vashegyi, à la tête de son Orfeo Orchestra et du Purcell Choir (qui laisse parfois percer une pointe d'accent), révèle toute les splendeurs de l'orchestre baroque français singulièrement coloré dans les danses pleines d'alacrité et de raffinement dans l'alternance du récit et de l'arioso. À coup sûr, cette authentique découverte devrait enchanter les amateurs, mais également surprendre les débutants. À quand une production scénique de cette perle repêchée ?

Frédéric Norac
12 décembre 2020
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Samedi 12 Décembre, 2020 0:30