Maroussia Gentet, Goethe Istitut, Paris, 11 février 2020. Photographie © musicologie.org.
La pianiste Maroussia Gentet est passée par le Conservatoire national supérieur de Lyon, sa ville natale, l’École normale de Paris et le Conservatoire national supérieur de Paris. Elle s'est frottée à de nombreux concours, s’est produite tant en France qu’au-delà de nos frontières, s’est fait remarquer sur des scènes importantes ou prescriptives, aussi avec un cédé consacré aux œuvres d’Henri Dutilleux et de Karol Szymanowski (Passavant 2016). Elle est lauréate du concours de piano contemporain d'Orléans 2018 (B records 2019). Au bon début d’une carrière qui avance irrésistiblement, elle met pied dans la cour des grands, comme on dit, mais elle est déjà leur égale, sinon plus.
Lauréate de la Fondation Alfred Reinhold – Blüthner, c’est la troisième fois qu’elle se présente dans le cycle des saisons de récitals Blüthner en France, au Goethe Institut de Paris et à Lyon.
Le 11 février dernier à Paris, Goethe Institut et année Beethoven obligent, son programme, dense, comportait trois sonates du maître dit de Bonn qui l’était en réalité de Vienne (opus 14, no 1 qui est la neuvième, opus 27 no 1, l’opus 54), et les Miroirs de Maurice Ravel reflétant diverses impressions, des chants d’oiseaux, les ondoiements de la mer, L’Espagne, chère au compositeur, qui donne bien du fil à retordre aux pianistes, les cloches.
Le premier mouvement de la neuvième, considérée comme une « petite sonate », me semblant être abordé assez conventionnellement, je me suis calé dans le fauteuil pour digérer agréablement ma tartine campagnarde bon chic bon genre, avalée dans un café du quartier, bercé par cette musique guillerette. Mais l’émotion communicative donnée au second mouvement m’a ramené au récital (comme quoi une petite sonate peut être une grande qui s'ignore), pour ne plus le quitter des oreilles.
Maroussia Gentet est concentrée, appliquée, peu démonstrative, mais ce qui passe dans et par le piano en impose, c’est peu dire. Le touché est d’une rarissime régularité, la maîtrise des dynamiques d’une précision d’horloger. Elle aime le faire entendre, elle aime certainement l’entendre, dans les traits, les agitations, du forte au pianissimo. Elle fait des choix un peu risqués, mais maintient le cap sans une faute de goût, sans une incohérence. Elle aime travailler sur le son, qu’elle négocie avec la traditionnelle hiérarchie basse, voix internes, mélodie, n’hésitant pas à faire passer les seconds plans au premier, à faire entendre tout ce qu’on peut entendre, en quelque sorte à distendre. Les traits, les ondulations, les difficultés techniques des Miroir de Ravel, sont pour elle comme les vagues de l'île de Maui dont rêvent les surfeurs les plus téméraires.
Un engagement techniquement et esthétiquement parfait. Mais cette perfection sonore est-elle compatible avec l’expression des émotions ? On a dit de Camille Saint-Saëns et de Ravel qu’ils avaient la perfection des horlogers suisses mais qu'ils étaient démunis cœur et d’humanité. La beauté, sentiment de perfection, ne provoque-t-elle pas en soi, une émotion particulière qui n’est pas celle des élans du cœur qu’on tisse entre humains, qui en est au-delà, comme l’est par exemple la statuaire antique grecque ? C’est le « Beau » de Plotin, par lequel le « Un » (la pensée du monde), se manifeste à notre contemplation.
Telle est la discussion que nous avons (presque) esquissée, ma voisine et moi. Je ne sais pas qui l’a pensé très fort avant l’autre, mais au moins avons-nous été d’accord là-dessus : il y a de l’Ivo Pogorelich chez cette pianiste. Mais, contrairement à ce dernier qui le limite, elle semble vouloir mettre les doigts sur un vaste répertoire.
Jean-Marc Warszawski
11 février 2020
© musicologie.org
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Mardi 10 Décembre, 2024 15:56