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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte —— La musique instrumentale de Beethoven à Schubert.

La musique instrumentale de Jan Václav Voříšek (1791-1825)

Né en Bohème, ce fils d’organiste montra très tôt de grandes dispositions pour la musique : à huit ans, il jouait de l’orgue, du violon, et faisait des tournées comme prodige du piano. Il compléta sa formation à Prague auprès de Václav Jan Tomášek et y fit également des études de droit et de philosophie, puis, en 1813, s’établit à Vienne où il étudia encore le piano avec Hummel.

À partir de 1818, il y exerça la fonction de chef d’orchestre à la Gesellschaft der Musikfreunde, et peu de temps avant d’être emporté par la tuberculose, officia en tant qu’organiste de la chapelle impériale.

À sa mort, après seulement une douzaine d’années d’activité de compositeur, il ne laissait qu’un catalogue bien mince, principalement dédié au piano, mais au moins eut-il le temps de se faire connaître et apprécier par Beethoven, dont il subit l’influence, ainsi que par Schubert, auquel il ouvrit la voie à travers ses impromptus. C’est là un des grands mérites qui lui sont aujourd’hui reconnus, mais, plus généralement, on lui doit, conjointement sans doute avec certains de ses compatriotes (Dussek avant lui, et son maître Tomášek), d’avoir été un des vrais précurseurs du romantisme en musique.

Œuvres pour piano

Dans l’ordre des numéros d’opus, on se doit de marquer déjà un arrêt sur les douze rhapsodies opus 1 que Beethoven découvrit dès 1814 (du moins pour une partie d’entre elles) et dont il fut enthousiasmé. Ce sont de grandes pièces de forme ternaire, des sortes de scherzos pleins de brio et d’un esprit souvent très beethovénien. « Dramatisme, héroïsme, passion fondent leur langage, caractérisé par le chromatisme, la modulation, les accidents nombreux. Les trios contrastent, et parfois violemment. Du reste, tout n’a pas, dans ces deux cahiers, la même valeur. Comme parfois Tomášek, il arrive que Voříšek cède aux doigts, n’écrivant plus que des formules assez creuses […] ; cela ne dure guère, heureusement ; dans les meilleures de ces pages, un jeune homme de génie montre l’étendue de ses dons. »1 À marquer d’une pierre blanche, la neuvième de ces rhapsodies, en sol mineur (allegro appassionato) : c’est l’une des plus ardemment romantiques, avec son climat farouche qui annonce les scherzos de Chopin, et, en parfait contraste, un fort beau trio qui achève d’en faire une des plus belles pages de Voříšek.

Jan Václav Voříšek, Rhapsodie no 9, par Artur Pizarro, 1996.


Au passage, on prêtera volontiers l’oreille à deux grandes pièces isolées, Le Désir, opus 3, et Le Plaisir, opus 4, mais l’attention se porte évidemment en priorité vers les six impromptus opus 7. Ces six pièces, auxquelles on associera une autre pièce de même nature, l’Églogue en ut majeur (dite Églogue 7), voire deux autres impromptus isolés, auraient suffi à assurer la pérennité du nom de Voříšek. Il est peu de dire qu’elles ont ouvert la voie à Schubert : « On ne peut les écouter sans y associer d’instinct le nom du Viennois ; on croit même, innocemment, les avoir déjà entendues ; et non point à cause d’une forme à peu près semblable et d’un pareil climat pastoral [….] ; mais bien parce que les thèmes, les harmonies, les tours pianistiques en sont étonnamment proches, tout comme les effluves poétiques, et ce ton de confidence amoureuse. »2 On se gardera cependant de mettre les deux musiciens sur le même plan, car ce qui fait le génie de Schubert, c’est sa capacité, à travers les plus simples mélodies, à exprimer toute la souffrance ou l’angoisse du monde, e, seul ou presque, avec le sombre trio de l’Églogue 7, le sixième Impromptu de Voříšek jette un certain trouble chez l’auditeur. On n’en est pas moins sous le charme de ces pages le plus souvent sereines qui, par leurs mélodies et plus encore par le jeu des modulations (en particulier dans les troisième, quatrième et cinquième), dégagent un climat subtilement poétique.

Jan Václav Voříšek, Impromptus 4, 5, 6, par Radoslav Kvapil.
Jan Václav Voříšek, Églogue en ut majeur par Radoslav Kvapil, Supraphon 1977.

À l’extrême opposé de ces confidences, le vaste diptyque de la fantaisie opus 12 « est la pièce la plus brillante et la plus virtuose de Vorisek, annonçant la technique de Chopin, voire de Liszt, et l’esprit des compositions lyriques de Smetana. L’andante initial […] se complaît en coloratures exubérantes qui réalisent, avant Chopin, l’idéal d’un bel canto pianistique. »3

Jan Václav Voříšek, Fantaisie opus 12 par Radoslav Kvapil, Supraphon 1977.

Dans les derniers opus, on passera assez vite sur quelques œuvres mineures (le rondo « brillant », opus 16 pour deux pianos, les deux facétieux rondos opus 18 et les variations opus 19) pour s’arrêter à une œuvre importante, bien que concise, qui montre que Voříšek n’était pas seulement un excellent miniaturiste : la sonate en si bémol mineur opus 20. Elle porte, on s’en serait douté, l’empreinte de Beethoven, ce qui ne l’empêche pas, notamment dans ses deux premiers mouvements, d’apparaître comme une œuvre forte et originale. « C’est une des sonates importantes de l’époque. L’autographe porte le sous-titre de quasi una fantasia ; c’est moins une précaution quant à la forme (classique, irréprochable, même s’il y manque un mouvement lent) qu’un indice de plus quant à l’esprit : pathétisme, force concentrée, vie intérieure, ombres et lueurs préromantiques. La tonalité choisie, déjà, nous renseigne : il faudra attendre Chopin pour la retrouver (sonate « funèbre »). Jan Václav Voříšek, Sonate en si bémol mineur, opus 20, I. Allegro con brio, II. Scherzo, III. Finale, par Radoslav Kvapil, 1974-1975.


Autres œuvres

Au sein d’un catalogue des plus restreints, contentons-nous de pointer du doigt deux œuvres qui ne sont pas loin d’égaler les meilleures réalisations de Voříšek dans le domaine pianistique : sa sonate pour violon et piano, opus 5, très classique dans sa forme, mais avec un vent de fantaisie et de liberté qui annonce Mendelssohn, et son unique symphonie, opus 24 en majeur qui n’est pas sans rappeler les symphonies de jeunesse de Schubert. « Essentiellement marqué par l’empreinte de Beethoven pour la concision et la conduite des thèmes, Voříšek s’impose par l’originalité de ses développements et l’énergie de son scherzo. La hardiesse de son harmonie et de certains sauts mélodiques pourrait aussi le rapprocher de Schumann et Mendelssohn. »5

Jan Václav Voříšek, Sonate pour violon et piano, en sol majeur , opus 5, I. Introduzione, largo, allegro moderato, par Ivan Klánský et Čeněk Pavlík, Sipraphon 1991.
Jan Václav Voříšek, Symphonie en majeur, opus 24, I. Allegro con spirito, II. Andante, III. Scherzo, IV. Finale, par l'Orchestre philharmonqiue tchèque, sous la direcion de Karel Ančerl, Supraphon 1951.

plume Michel Rusquet
16 juin 2020
© musicologie.org

Notes

1. Sacre Guy, La Musique de piano, Robert Laffont, Paris 1998, p. 2917-2918.

2. Ibid., p. 2917.

3. Halbreich Harry, dans Tranchefort François-René (dir.), « Guide de la musique de piano et de clavecin » Fayard, Paris 1998, p. 826.

4. Sacre Guy, op. cit., p. 2924.

5. Venturini Philippe, dans « Le Monde » de la musique (222), juin 1998.

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