« Militaire, puis déserteur, expatrié au Danemark sous un faux nom, professeur de musique pour aristocrates, Kuhlau perdit tout dans l’incendie de sa maison et en mourut ; ajoutons qu’il était borgne depuis l’enfance, et qu’il lui fut donné de rencontrer Beethoven, ce qui donna au Viennois l’idée du canon Kühl, nicht lau (sic) : une vie de roman comme on les aime »1. Encore pourrait-on préciser que la rencontre qui donna lieu à ce canon d’une colossale finesse ( Kühl, nicht lau = frais, pas tiède ) avait, dit-on, été copieusement arrosée de part et d’autre, mais à quoi bon en rajouter sur le compte de cet Allemand qui se fit Danois après s’être enfui pour éviter la conscription dans les armées napoléoniennes…
Pianiste et flûtiste, il était avant tout musicien et, une fois établi à Copenhague où il fut engagé comme musicien de cour, il finit par s’imposer comme compositeur. Il le dut pour une bonne part à diverses œuvres écrites pour la scène, à un brillant concerto pour piano de 1810, ouvertement inspiré du premier de Beethoven mais assez remarquable, et à de nombreuses œuvres pour clavier (sonates, sonatines, variations…) qui, du moins dans certaines pages, ne sont pas loin de démentir la réputation de « petit maître » qui reste attachée à son nom. Mais s’il a survécu, c’est largement grâce à son vaste catalogue de musique de chambre. On y trouve un unique quatuor à cordes (opus 122), qui est une œuvre ambitieuse et estimable, dotée en tout cas d’un superbe adagio con espressione ; des sonates pour violon et piano et des quatuors pour piano et cordes, partitions dans lesquelles émergent essentiellement de beaux mouvements lents ; et surtout une quantité impressionnante d’œuvres pour ou avec flûte : trois quintettes pour flûte et cordes, qui dispensent une musique insouciante et souvent diserte dans laquelle la grâce aérienne de la flûte est contrebalancée par la présence dans le quatuor de deux altos aux parties étoffées ; un trio pour deux flûtes et piano assez réussi ; diverses sonates et autres duos brillants, pour flûte et piano, qui paient évidemment leur tribut à la musique de salon mais qui, comme souvent chez Kuhlau, se signalent par des mouvements lents d’une réelle poésie, et parfois, comme la Grande sonate concertante, opus 85, méritent qu’on s’y arrête un instant ; et toute une série de pièces (duos, trios,et même un quatuor) dévolues aux seuls flûtistes, et de ce fait largement confinées à un public de spécialistes. Trop peut-être car, selon certains, c’est là que Kuhlau parvient le mieux à se défaire de son image de petit maître. Nous n’irons certes pas jusqu’à l’auréoler du titre de « Beethoven de la flûte » qui lui a été parfois donné, mais il serait injuste de ne pas saluer l’apport qui a été le sien au répertoire de l’instrument.
Friedrich Kühlau, Concerto pour piano en ut majeur, opus 7, par Amelie Malling et l'Orchestre symphonique de la radio danoise, sous la direction de Michael Schönwandt.Michel Rusquet
29 janvier 2020
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1. Fort Sylvain, dans « Diapason » (462), septembre 1999.
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