Paris, Théâtre des Champs-Élysées, 18 septembre 2020 —— Frédéric Norac.
Théâtre des Champs-Élysées, Der Messias. Photographie © Vincent Pontet - TCE.
Bob Wilson n’est pas le premier metteur en scène à s’attaquer au Messie de Händel. Gageure on ne peut plus risquée, car le chef-d’œuvre händélien est une œuvre essentiellement abstraite, religieuse plus que narrative et qui appelle la méditation plutôt que la représentation, malgré son titre d’oratorio. Sauf dans l’évocation de la Nativité et à quelques brefs moments de celle de la Passion, son texte est essentiellement basé sur l’Ancien Testament et les Prophètes et sur les Épîtres et leur message eschatologique.
Le metteur en scène l’a bien compris et il n’a pas cherché, à l’inverse de Claus Guth en 2009, à plaquer sur l’œuvre une quelconque anecdote « réaliste » pour l’inscrire dans une problématique contemporaine, mais plutôt à en figurer symboliquement le message spirituel dans un registre intemporel et au-delà même de la seule interprétation chrétienne. Son sens des images prend ici toute sa valeur. Les subtiles variations de couleur et de lumière de la boîte magique qui constitue l’unique décor créent à chaque épisode son climat. Des cintres descend tout un jeu d’objets symboliques — fragments de bois brûlés évoquant sans doute la croix, homme sans tête et aile d’ange en papier, portique monumental exprimant la majesté divine, arbre desséché basculant ses racines vers le ciel au moment de l’Amen final. La vidéo offre également quelques visions spectaculaires : mer étale soudain bouillonnante à l'annonce de la venue du Messie, iceberg secoué de prodigieuses explosions pour la colère divine qui, ajoutées à la ritualisation des entrées du chœur et des solistes, nous plongent dans un climat de mystère pleinement religieux.
Semaine Mozart de Salzburg, Der Messias. Photographie © Lucie Jansch.
Des quatre solistes, il fait toutefois de véritables personnages et se risque même à quelques touches d’humour dans un ensemble sérieux, mais jamais pesant. Le ténor est devenu un dandy, meneur de revue malicieux qui esquisse quelques pas de danse à chacun de ses airs et s’offre même un petit flirt avec l’austère mezzo pendant leur duo sur la défaite de la mort. La basse est une sorte de prêtre shintoïste accompagné d’un facétieux esprit de paille tout droit sorti du folklore japonais jouant à cache-cache avec une petite fille occidentale ; la soprano une figure désincarnée de sainte ou de fée, tout droit sortie de l’iconographie sulpicienne ou d’un livre de contes. De cette vision, un rien naïve mais très séduisante dans ses aspects ludiques, on exceptera l’élément chorégraphique qui semble souvent un mode de remplissage, et ce malgré le talent incontestable du danseur.
Le choix de l’arrangement de Mozart lié à l’origine de la production, créée en janvier dernier à la Semaine Mozart de Salzbourg, pose une difficulté supplémentaire aux interprètes. Si l’on peut apprécier diversement les enrichissements apportés par le compositeur viennois à la sobriété de l’orchestration originale, on reconnaîtra que Marc Minkowski réussit à les transcender et à leur donner un intérêt « dramaturgique » qui dépasse les simples questions stylistiques bien qu’à notre goût ils alourdissent souvent, voire dénaturent quelquefois une partition parfaite. En revanche, la prosodie du texte allemand ne facilite guère la tâche des chanteurs, enlevant une grande partie de la souplesse de la langue anglaise à une œuvre où la vocalise est omniprésente. Si Stanislas de Barbeyrac, passé un premier air un peu tendu, parvient à en maîtriser les écueils, si la voix brillante d’Elena Tsallagova donne tout leur relief aux parties de soprano, la contralto Helena Rasker peine un peu à se projeter, singulièrement dans son premier air, et son célèbre morceau de bravoure, « Er war verschmähet » (He was despised) parait bien monotone accompagné de cette seule cheminée déversant sa fumée sans discontinuer. Quant à la basse, José Coca Loza, malgré une voix remarquablement timbrée quoiqu'un peu courte dans l'extrême grave, il manque de souplesse et de facilité et il lui faut lutter pour donner tout le poids voulu à son rôle essentiellement prophétique. Le chœur philharmonique de Vienne laisse également une impression mitigée, avec de très désagréables décalages, un certain manque d’ampleur voisinant avec des moments de magnifique homogénéité.
Au final, malgré quelques réserves, ce Messie tout à la fois littéral et naïf et parfois un peu abscons, plein d'invention et d'une grande beauté esthétique, offre, comme le dit justement Vincent Borel dans sa note de programme, une belle occasion à la « résurrection d'un théâtre » fermé depuis six mois et nous le recevons comme un augure bienvenu au début d'une saison encore fragile et pleine d'incertitude.
Frédéric Norac
19 septembre 2020
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