Est-ce pour conjurer les peurs liées à l’épidémie que l’Opéra-Comique a eu l’idée de s'offrir comme spectacle de fin de saison ce « cabaret horrifique » ? Valérie Lesort y met en scène deux chanteurs cadavériques, une bruiteuse (elle-même) et une pianiste, et convoque un répertoire éclectique qui va de Jean Cras à Purcell en passant par Marie-Paule Belle, Ravel et Schubert, le tout agrémenté de facéties macabres dont la pianiste incarnée par Marine Thoreau Lassalle, déguisée en jeune fille sage, fait régulièrement les frais en un réjouissant jeu de massacre qui a presque l'air vrai.
Le fil conducteur est ténu, la mort, la folie, l’angoisse, le tout dans un registre grand-guignolesque totalement assumé, avec quelques allusions à l'actualité, masques et gel hydroalcoolique dont les protagonistes se frictionnent vigoureusement les paluches.
Si le décorum macabre est parfaitement réussi (maquillages, tête coupée, cercueil), le programme musical paraît quant à lui un rien opportuniste et tout ne fonctionne pas au même degré. Que vient faire là l’Air du Feu de L’enfant et les sortilèges, Le roi des Aulnes ou l’air de la folie de Platée pour ne citer qu’eux ?
D’évidence les interprètes se sont fait plaisir et ont puisé dans leur répertoire de quoi nourrir cette fantaisie quasi improvisée qui tient un peu du pot-pourri et du cadavre exquis. En tous cas, leur talent supplée largement à l'adéquation toute relative du programme musical au propos (qui du reste n’en est pas un à proprement parler, sinon en creux) et il suffit largement au plaisir du public réuni avec eux sur le plateau. Judith Fa fait valoir une jolie voix de lyrique léger dans ses airs d'opéra ce qui ne l'empêche de jouer avec brio les chanteuses réalistes dans le Tango stupéfiant de Marie Dubas, Lionel Peintre est un diseur sans pareil et, si son Roi des Aulnes n'est pas vraiment un morceau d'anthologie pour Liederabend distingué, sa faconde fait merveille dans le Tango des joyeux bouchers de Boris Vian ou l'air du Froid de King Arthur. Tous deux se retrouvent dans un duo déjanté du Fantôme de l'Opéra on ne peut plus de circonstance et l'on vous garde pour la bonne bouche le finale et son invité surprise.
Ce « train-fantôme » musical ne vous emmènera certes pas très loin, le seul paysage qu'il traverse est celui mélancolique et comme rêvé de la salle Favart endormie à l'arrière-plan du spectacle, mais il vous fera passer une heure joyeuse en attendant de retrouver les grands spectacles dont nous sommes privés encore pour un temps certain.
Représentations jusqu'au 4 juillet. Jauge limitée à 70 personnes.
Frédéric Norac
29 juin 2020
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Mercredi 25 Mai, 2022 17:13