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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte : la musique instrumentale en Allemagne de Beethoven à Schubert.

Les sonates opus 2 de Ludwig van Beethoven

Les sonates pour piano : Opus 2, nos 1, 2, 3 - Opus 7 - Opus 10 - Opus 13 - Opus 14 - Opus 22 - Opus 26 - Opus 27 - Opus 28 - Opus 31 - Opus 49 - Opus 53 - Opus 54 - Opus 57 - Opus 79 - Opus 81a - Opus 90 - les cinq dernières sonates (opus 101, 106, 109, 110, 111).

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De 1794-1795, donc d’un musicien de vingt-cinq ans ou presque, ces trois premières sonates — en fait les premières qu’il ait jugées dignes de figurer dans son catalogue — sont déjà des chefs-d’œuvre résolument tournés vers l’avenir. Dédiées à Haydn, devant lequel Beethoven les joua au cours d’une soirée chez le prince Lichnowsky, elles donnèrent certainement au vieux maître le sentiment qu’un âge était en train de s’achever avec lui. « À travers des formes encore intactes, mais où se décèle déjà la félure, dès ces premières sonates le langage de Beethoven se révèle moderne. Dans les grandes architectures des allegros et plus encore dans les mouvements lents des sonates opus 2 nos 2 et 3, la densité, la concentration des évènements musicaux sont telles que le moindre geste acquiert une importance extrême. »23

« Ici débute l’aventure de la sonate beethovénienne. La forme est élargie, symphoniquement, à quatre mouvements. Deux fois sur trois l’antique menuet cède la place au tout neuf scherzo. L’andante mozartien, trop allant justement, est remplacé par l’adagio, par le largo. Techniquement, on s’élève au niveau des plus difficiles sonates de l’époque […]. Quant aux idées […], Beethoven entasse dans chaque sonate de quoi en remplir plusieurs : abondance de biens ne nuit pas. Bien sûr, cela ne va pas sans défauts. Ce cadre dix-huitième est trop grêle pour une pensée qui déjà le dépasse. Il y a des maladresses, des naïvetés,  et dans l’emploi du mode mineur un côté déclamatoire dont Beethoven ne se défera jamais complètement. Mieux encore, on voit par avance que, chez lui, la force de l’expression comptera plus que son charme. Dès ces premières sonates, c’est un anti-Mozart, sans le vouloir, sans pouvoir faire autrement : la déchirure est irréparable, elle ira s’accentuant. Mais enfin, il les a faites ressemblantes, y mettant d’emblée tout ce qu’il est, la passion tumultueuse comme la bonne humeur, la douleur comme le sourire. »24 Et c’est bien ce qui nous enchante dans ce triptyque au sein duquel il reste difficile d’afficher des préférences très marquées.

Selon Brigitte et Jean Massin, Beethoven garda une prédilection pour l’opus 2 no 1en fa mineur, la mettant en bonne place dans une sélection de sonates en mineur exprimant des états psychologiques comparables. « Ambiguë, animée dans son étonnant et magnifique finale d’une pulsation et d’une tension déjà puissantes, cette première sonate exprime une exubérance très personnelle, traversée d’un souffle véhément et sauvage nuancé d’ornementations évoquant la manière de Haydn et d’un hommage plus explicite à Mozart (citation dans l’allegro de la symphonie en sol mineur K 550). »25

Sonate opus 2 no 1 en fa mineur, IV. Prestissimo, par Sviatoslav Richter.

L’opus 2, no 2, est d’un esprit tout différent. « Au lieu du sombre fa mineur, le ton lumineux de la majeur, et, comme pour effacer l’impression de violence et de douleur mal contenue que donnait l’œuvre précédente, l’extériorisation d’une sorte de joie limpide, sans réticence aucune, le bonheur de composer pour son propre plaisir. Non sans l’espoir, également, de plaire à son maîtreHaydn, pris ici comme modèle avoué, [et ce,] jusque dans le Scherzo […] qui conserve quelque chose de la robustesse souriante des menuets haydniens. »26 L’hommage au vieux maître sera plus flagrant encore dans le fringant Rondo final, mais on aura une attention toute spéciale pour le Largo appassionato, un mouvement à l’écriture de quatuor, au cantabile profond, d’une grande noblesse et d’une intense ferveur.

Sonate opus 2 no 2 en la majeur, II. Largo appassionato, par Emil Gilels.

C’est cependant l’opus 2 no 3 en ut majeur qui, de ces trois premières sonates, paraît la plus accomplie. C’est aussi la plus longue, la plus ambitieuse et la plus brillante. Plein de culot et de vigueur juvénile, son Allegro con brio initial, aux allures de concerto déguisé,  a de la bravoure à revendre. Contraste total avec l’Adagio, aux accents douloureux, qui plonge dans ce mi majeur qui, chez Beethoven (voir le finale de la sonate opus 109), est souvent synonyme de recueillement et de méditation ardente. Retour à l’animation initiale avec un Scherzo aussi léger et brillant que piquant, puis, avec une variété étourdissante de figurations mélodiques et rythmiques, c’est l’impétueux finale (Allegro assai), « le meilleur de la sonate, et sans doute le plus excitant de tous les mouvements de l’opus 2 ».27

Sonate opus 2 no 3 en ut majeur, IV. Allegro assai, par Kun-Woo Paik.

 

plumeMichel Rusquet
5 septembre
2019
© musicologie.org

Notes

23. Boucourechliev André, Beethoven, « Solfèges », Éditions du Seuil, Paris 1963, p. 27.

24. Sacre Guy, La Musique de piano, Robert Laffont, Paris 1998, p. 325.

25. Szersnovicz Patrick , dans « Le Monde de la musique » (238), décembre 1999.

26. Tranchefort François-René, Guide de la musique de piano et de clavecin, Fayard, Paris 1998, p. 93.

27. Sacre Guy, op. cit. , p. 329


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