« Vous qui savez ce qu'est l'amour », Romie Esteves, Athénée Louis-Jouvet. Photographie © Amber Vandenhoeck.
Que vous aimiez ou non les Noces de Figaro, que vous les connaissiez sur le bout des doigts ou pas du tout, avec Romie Esteves pour guide vous allez les découvrir sans peine et sûrement les adorer. C’est avec sa passion pour Mozart, dans une approche intime, contemporaine, vivante que la mezzo s’est lancée dans ce projet fou de raconter l’opéra de Mozart, seule en scène et en une heure et quarante minutes.
Comme elle est une authentique chanteuse lyrique, elle s’offre le luxe de chanter tous les rôles féminins Susanna, La Comtesse, Marcelline, Barbarina, et Cherubino bien sûr dont elle a la tessiture exacte et qui est le fil conducteur de sa lecture. C’est à travers le regard de l’adolescent pris dans ses sentiments contradictoires, l’incarnation même de l’Amour qui agite le château d’Aguas Frescas, que l'histoire nous est racontée.
Tous les autres personnages qu’elle ne peut pas vraiment chanter : un Figaro franchouillard, un Comte Almaviva important, l’insinuant Basilio, Antonio le jardinier ivre, elle les incarne, invoque et fait exister sur le plateau, car elle est une comédienne accomplie. Le comble de la virtuosité c’est quand ils sont là tous ensemble comme dans le finale de l’acte I ou dans la scène du jardin qui conclut l’opéra. La performance bien sûr est époustouflante, trouée de moments vraiment lyriques où la guitare délicate de Jérémy Peret vient soutenir la chanteuse, ou portée sur un rythme effréné par la version électrique du même instrument.
Dans cette entreprise délirante, où l'interprète passe du parlé au chanté, joue tous les rôles, se donne la réplique à elle-même, elle a mis aussi toute son histoire avec le monde de l’opéra, son chemin pour accéder enfin au rêve de chanter Cherubino. À l’arrière-plan, une bande-son vient de temps en temps évoquer une véritable production des Noces en cours de montage, et une interview vidéo de Marcelline (jouée par elle) explicite le dénouement du procès qui l’oppose à Figaro dans le genre télé-réalité.
La mise en scène de Benjamin Prins fait penser au travail d'un Christoph Marthaler. Le risque avec cette façon de radiographier l’œuvre de Mozart, de montrer l’envers du décor au propre comme au figuré, d’extrapoler sur les situations, de « déconstruire » le livret, serait de tomber dans l’intellectualisme, le théâtre pour happy few, mais, à quelques très brefs passages à vide près où on finit par perdre de vue le propos, tout cela reste toujours drôle, immédiat, accessible et, d’évidence, réunit tous les publics à la fois, ceux qui « savent » ce que sont les Noces de Figaro et ceux qui ne le « savent » pas encore. Romie Esteves, elle, en tous cas, les connaît dans leurs moindres recoins, même les plus sombres (voir sa lecture du célèbre « l’ho perduta ») et nous les restitue aussi vivantes et palpitantes que si elles venaient tout juste d’être créées.
Représentations jusqu'au 23 février
Frédéric Norac
15 février
2019
ISNN 2269-9910.
Mercredi 2 Octobre, 2024