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Opéra-Bastille, Paris, 3 octobre 2019 —— Frédéric Norac.

La rue prend la Bastille : Les Indes galantes revues par Clément Cogitore et Bintou Dembélé

Les Indes galantes, Opéra national de Paris. Photographie © Little Shao. Les Indes galantes, Opéra national de Paris. Photographie © Little Shao.

La nouvelle production des Indes Galantes de l’Opéra de Paris est à marquer d’une pierre blanche. Contrairement à La Traviata de Simon Stone qui se donne parallèlement en ce moment au Palais Garnier,  où la modernité n’est qu’un simple gadget, un habillage de surface, elle est profondément ancrée dans notre époque, sombre, parcourue de tensions larvaires et de conflits prêts à éclater, mettant en scène des figures d’aujourd’hui que le public peut rencontrer dans son quotidien.

Le bateau dans lequel naufrage Valère dans l’entrée du « Turc généreux » est celui de migrants destinés au mieux à l’esclavage ; le soleil des Incas n’est plus qu’un grand écran numérique traversé d’images furtives ; dans l’« entrée des Fleurs », le marivaudage amoureux a des relents de libertinage sous le signe de la prostitution et, dans la fête qui suit, toute trace de nature a disparu, la seule image de joie est celle d’un petit manège où tournent les enfants de la maitrise des Hauts-de-Seine, sur le dos d’animaux en voie de disparition ; la « Danse des Sauvages » enfin a toute l’énergie d’une violente revendication populaire pour un bonheur simple, loin des lois du profit  et s’achève sur une forêt de poings tendus.

Avec l’extraordinaire compagnie de danse Rualité et la chorégraphe Bintou Dembélé, Clément Cogitore a fait entrer la rue à l’Opéra Bastille. Il a mixé à l’œuvre de Rameau les réalités sociales et les expressions urbaines d’aujourd’hui, mais sans démagogie. L’intégration de la danse et du chant, le métissage entre opéra et toutes les formes de danses dérivées du hip-hop sont parfaitement réussis, car il passe par une vraie complicité entre chant et danse qui semblent dialoguer pendant les airs dans la même musicalité délicate. Pour les suites de ballet elles-mêmes, elles sont devenues des moments de respiration orchestraux ou de grandes cérémonies collectives en pantomime dont la plus impressionnante est sans doute celle de l’invocation au soleil dans l’entrée des Incas.

Les Indes Galantes, Julie Fuchs, Opéra national de Paris. Photographie © Little Shao.Les Indes Galantes, Julie Fuchs, Opéra national de Paris. Photographie © Little Shao.

La mise en scène dépasse la simple transposition, elle réinvestit d’un sens nouveau pleinement contemporain ces histoires anciennes et nous rappelle que l’opéra de Rameau nous vient du siècle des Lumières et que le compositeur lui-même, sans doute franc-maçon, n’était pas étranger aux problématiques de son époque et qu’elles ont leur équivalent dans la nôtre. Certes l’humour est un peu parcimonieux dans cette vision, mais on le retrouve par petites touches ça et la, dans le marivaudage libertin de l’entrée des fleurs et dans le numéro de pom-pom girls des Sauvages. Il faut dire que si notre époque danse encore c'est au bord du gouffre, celui que concrétise le grand trou au centre du plateau d'où émergent les éléments de chacun des univers évoqués.

Du côté musical, on s’étonne un peu de retrouver tant de barytons dans des rôles de basse — Edwin Crossley-Mercer, Florian Sempey et Alexandre Duhamel — avec chez chacun un certain déficit dans le registre grave qui n’hypothèque tout même pas complètement la qualité de leurs performances. Côté ténors, la voix de Stanislas de Barbeyrac paraît déjà un peu lourde pour ce répertoire, mais Matthias Vidal est absolument idéal dans la tessiture de haute-contre. Sabine Devieilhe (déguisée au prologue on ne sait pourquoi en speakerine des années 60) est aussi sublime que l’on peut l’imaginer en Hébé, en Phani des Incas et en Zima des Sauvages. Julie Fuchs communique beaucoup de caractère à Émile du Turc comme à Fatime des Fleurs. Mais c’est Jodie Devos, délicieux Amour du prologue et suave Zaïre de l’entrée des Fleurs, qui éblouit par la rondeur de son timbre et la délicatesse de son phrasé, accompagnée par un superbe solo sur les pointes (de baskets) au bord du grand trou menaçant au centre du plateau.

Les Indes galantes, Opéra national de Paris. Photographie © Little Shao.Les Indes galantes, Opéra national de Paris. Photographie © Little Shao.

Les chœurs de Namur sont exemplaires de clarté et d’homogénéité, la Capella Mediterranea sous la direction efficace de Leonardo Garcia Alarcon ne laisse rien à désirer en termes de beauté orchestrale et de pulsation rythmique.

Si le prologue assez abstrait et statique, à la limite du défilé de mode, laissait le spectateur perplexe sur les intentions du metteur en scène, la chaconne finale en forme de récapitulation où défilent tous les personnages dans une parade dansée est un moment de grande jubilation, car entre-temps au fil des entrées un véritable discours et une complicité avec le public se sont construits. Oui, dans cette version moderne sans être bêtement moderniste ou à la mode, Les Indes Galantes entrent revivifiées au répertoire de l’Opéra Bastille. Le bruyant triomphe que lui fait le public du grand vaisseau (pas tout à fait plein il est vrai) devrait suffire à clouer le bec aux pisse-froid et aux pédants qui voudraient que l’opéra reste un musée hors du monde et réservé à une élite cultivée.

Représentations jusqu'au 15 octobre.

Frédéric Norac
3 octobre 2019


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Mercredi 9 Décembre, 2020

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