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Athénée Théâtre Louis Jouvet, 12 juin 2019 —— Frédéric Norac.

L’enfant secret d’Albert Roussel : Le testament de tante Caroline

Tante CarolineTante Caroline, Athénée Théâtre Louis Jouvet. Photographie © PierreMichel.

On n’attend guère un musicien de la trempe d’Albert Roussel, grand symphoniste, émule de Vincent d’Indy et pilier de la Schola Cantorum sur les chemins buissonniers de l’opérette et de la musique légère. Ce « testament », pochade satirique sur un livret de Nino, créé en 1936 à Olomuc (ça ne s’invente pas !) et repris l’année suivante à l’Opéra-comique dans une version réduite en un acte et deux tableaux sera pour beaucoup une totale surprise.

Le livret met en scène une famille bourgeoise dans sa lutte fratricide pour l’héritage d’une richissime parente au passé douteux. La défunte n’a rien trouvé de mieux pour se venger de ses neveux et nièces qui d’évidence l’ont ostracisée, que de mettre une condition irréalisable dans son testament. Héritera qui sera capable de produire un enfant dans l’année sinon tout ira à l’Armée du Salut. Des deux couples en lice, aucun n’est en mesure de pourvoir à la demande. Ce sera finalement la vieille fille de service, Beatrice, venue dans la maternité où il travaille, en même temps que ses deux cousines dans l’espoir d’y subtiliser un enfant, qui va y retrouver vingt ans plus tard un enfant du péché ou de l’amour, c’est selon, en la personne de Noël, l’ancien chauffeur de sa tante.

La partition de Roussel est un délice d’invention mélodique et de finesse instrumentale, largement dominée par les vents dans un traitement d’une grande subtilité qui donne à sa musique, tout à la fois directe et très savante dans ses modulations et ses harmonies, toute son originalité et sa séduction. Le compositeur joue d’allusions au grand répertoire lyrique et l’on croit deviner, dans le nocturne où Beatrice se remémore son erreur de jeunesse avec un pêcheur breton, le souvenir de celui des Troyens de Berlioz ou encore, dans le chœur final ponctué par les cris « Noël, Noël ! », un clin d’œil au Werther de Massenet. Quant à la scène où Beatrice reconnaît son enfant perdu, elle démarque à n’en pas douter celle où Marcelline reconnait dans Figaro son fils Raphael dans les Noces.

Tante CarolineTante Caroline, Athénée Théâtre Louis Jouvet. Photographie © PierreMichel.

La mise en scène de Pascal Neyron joue à plein la carte de la comédie réaliste et grinçante, croquant ses personnages dans un registre « grotesque » et « exagéré » comme le souhaitait le compositeur. La scénographie simple de Caroline Ginet se révèle particulièrement efficace dans la deuxième partie qui se joue dans une pouponnière. De cette excellente troupe de chanteurs-comédiens d’une parfaite homogénéité on distinguera le soprano léger aigus parfois un peu pincés et plein d’esprit de Marie Perbost dans le rôle de Lucine, la femme de chambre devenue sage-femme à qui le compositeur a confié la plupart des airs solistes, le notaire de Till Fechner aux faux airs de Louis Jouvet et le Docteur Patogène joyeusement cynique de Romain Dayez. Mais tous concilient brillamment les exigences musicales d’ensembles très élaborés avec celles d’un direction d’acteur très convaincante. Dans la fosse, l’orchestre des Frivolités parisiennes dirigé avec délicatesse et élégance par Dylan Corlay s‘affirment comme une valeur montante dans le paysage des ensembles indépendants, explorateurs de répertoire en mal de redécouverte.

 

Frédéric Norac
12 juin 2019

 

 

 

 

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Trop belle pour toi : La Belle meunière par Thomas Oliemans et Malcolm Martineau —— Rameau express : Hippolyte et Aricie au Théâtre des Champs-Élysées —— Nonsense lyrique : The Importance of Being Earnest de Gerald BarryLa sublime Manon de Patricia Petibon Perle rare : Die stumme Serenade de Korngold.

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bouquetin

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