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Théâtre des Champs-Élysées, 11 janvier 2019 —— Frédéric Norac.

Comédie crépusculaire : Arabella de Richard Strauss

Anja Harteros. Photographie © Markus Tedeskino.Anja Harteros. Photographie © Markus Tedeskino.

Pour beaucoup des admirateurs de Richard Strauss,  Arabella ne serait pas son meilleur opéra. Tout juste une œuvre mineure à laquelle a manqué la touche finale du librettiste, Hugo von Hofmanstahl, mort en 1929 avant d’avoir pu achever son œuvre. Cet opéra de 1933, année fatidique pour le destin de l’Europe, montrerait  un certain épuisement chez le vieux compositeur (65 ans) qui, au-delà d’un remarquable métier, peinerait à se renouveler et remâcherait ses vieilles recettes. Le livret lui-même n’aurait pas la qualité de ses illustres antécédents, Le Chevalier à la rose ou Ariane à Naxos.

Certes on a affaire ici à une comédie bourgeoise, un rien farfelue et improbable, mais il s’en dégage en même temps une nostalgie douce-amère, un charme et une émotion irrépressibles qui, mixés avec un humour savoureux et une ironie jamais démentie, lui donnent une tonalité unique et profondément originale.

Arabella est une jeune fille de l’ancien monde, celui de l’Empire austro-hongrois finissant — ou serait-ce celui de la désormais défunte République de Weimar ? Elle attend parmi l’aréopage de ses soupirants l’homme véritable (« Der Richitige ») qui doit faire d’elle une femme et à qui elle consacrera son destin. Ses parents ont tout misé sur son mariage qui doit les sauver de la dèche dans laquelle l’addiction paternelle au jeu a jeté la famille. Le prétendant arrive à point nommé, riche, noble, mûr et les promis se plaisent… Mais un énorme malentendu va venir tout fiche en l’air. La petite sœur Zdenka que l’on fait passer pour un garçon, faute de pouvoir entretenir deux filles à marier, est amoureuse d’un des prétendants d’Arabella, Matteo, et pour le sauver du désespoir va se donner à lui purement et simplement. Scandale, trahison, désespoir. Au terme d’une épreuve qui mûrira les deux fiancés et scellera cette étonnante idylle, l’intrigue finira par deux mariages au lieu d’un.

Le scénario pourrait être celui d’un film de Billy Wilder : la charge sociale sur les aristocrates décavés et déclassés se double d’une tendresse évidente pour ces personnages d’un monde finissant, tous délicieusement inconscients et enfermés dans leur bulle. Le sentimentalisme petit-bourgeois du propos est transcendé par une sorte mystique chez les deux protagonistes qui les sublime et rend leur histoire « universelle ». Tous les autres personnages sont ou très typés ou très hauts en couleur.

La distribution de cette version de concert, proposée en marge d’une production que le Bayerische Staatsoper de Munich reprendra à partir du 14 janvier, est parfaitement rodée. Cela se sent dans l’évidence avec laquelle les chanteurs assument la part nécessaire de théâtralité de leurs rôles. Tous ne méritent que des éloges, depuis la triade des prétendants, Elemer, Dominik et Lamoral jusqu’au rôle-titre auquel Anja Harteros apporte la plénitude d’un instrument vocal à la maturité épanouie avec une délicatesse de touche et un naturel qui évitent habilement la minauderie de la fausse jeune fille. Si la prima donna assoluta de l’Opéra de Munich se taille un beau succès personnel, à l’applaudimètre, elle est devancée par le Mandryka de très grand format de Michael Volle qui sait concilier l’enthousiasme un peu brutal et l’extravagance de l’aristocrate provincial avec une sensibilité à fleur de peau qui fait de leur duo du deuxième acte un des sommets de la soirée. Avec une faconde et une fausse dignité irrésistibles, Doris Soffel et Kurt Rydl incarnent avec bonheur le couple des parents indignes. Hanna-Elisabeth Müller aux aigus un peu droits et le brillant ténor de Daniel Behle donnent un beau relief au duo Zdenka Matteo. L’extraordinaire virtuosité de la colorature de Sofia Fomina fait regretter que le rôle de Fiakermili ne soit si bref. Une mention encore pour l’excellente diseuse de bonne aventure de la mezzo Heike Grötzinger et le chœur de  l’opéra de Bavière qui fournit également les petits rôles des domestiques. L’autre grand triomphateur de la soirée est évidemment l’orchestre de l’Opéra de Bavière — sans doute le plus idiomatique dans cette musique faussement viennoise — et qui réussit le tour de force sous la baguette diligente de Constantin Trinks de jouer lui aussi les protagonistes sans jamais écraser de sa présence un plateau où le sens de la nuance et la délicatesse du Sprechgesang doivent régner sans partage.

Frédéric Norac
11 janvier 2019.


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Mercredi 9 Décembre, 2020

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