Zappa : l'un et le multiple

Boisnel Juliette et Castanet Pierre Albert (coordination), Franck Zappa : l'un et le multiple. Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2017 [306 p. ; ISBN 791024007632 ; 24 €]

14 mars 2018, par Alain Lambert —

Beaucoup de choses dans ce gros livre riche et touffu, qui parait juste 25 ans après la disparition de l'inclassable Franck Zappa. Avec bien sûr les qualités et les moindres défauts de ce genre de recueil universitaire constitué d'articles spécialisés, sinon très pointus, tout en offrant divers points de vue dans cette recherche pour cerner l'un et le multiple d'un musicien polyphonique et néo dada. Sans oublier une iconographie inédite, des photographies toutes restaurées par Gérard Boisnel, et proposées par Henning Lohner qui fut son collaborateur de 1988 à 1993 et qui postface l'ouvrage.

Dans une première étude, Nastasia Ganon et Sophie Stévance questionnent le personnage hétéroclite et compositeur protéiforme.

Puis Pierre Albert Castanet interroge son rapport à la musique dite savante, ses connaissances musicales en la matière, ses mises en pratique, ses pillages et citations ainsi que ses expériences orchestrales avec Pierre Boulez (The Perfect Stranger, 1984) ou l'Ensemble Modern (The Yellow Shark, 1993). Par contre l'album de Jean Luc Ponty King Kong, JLP plays the music of FZ (1970) [voir notre chronique] n'est cité ni dans l'article, ni dans la discographie — il sera évoqué plus loin par Philippe Gonin à propos du thème titre — alors qu'il contient un petit bijou fusionnant un orchestre de chambre de musique savante à un groupe de jazz rock : Music for Electric Violin and Low-Budget Orchestra.

Philippe Lalitte approfondit justement la filiation avec Varèse en remettant en question sa dimension mythique. En oubliant peut-être le mémorable « Pentagon Afternoon » sur The Yellow Shark avec ses jeux de timbres et de sirènes.

En seconde partie, Max Noubel étudie l'album Lumpy Gravy (1968) et Jacopo Costa le morceau Brown Shoes Don't Make It sur le principe du collage et du bricolage musical. Travail de montage qu'analyse Romain Bricout dans son article sur la « xénochronie », ou la synchronisation des temps différents. Avant la description de l'utilisation de dispositifs électroniques en temps réel dans la musique de FZ par Laurent Pottier.

Enfin la 3^e partie propose une étude de Martin Laliberté sur la gestuelle de FZ dans l'improvisation dirigée, puis une analyse approfondie de l'histoire du cinéma musical américain en relation avec les deux Ovnis que furent le Magical Mystery Tour (1967) des Beatles et 200 Motels (1971) de FZ. Philippe Gonin s'interroge sur le statut de l'œuvre musicale rock chez Zappa tout en précisant son rapport aux autres univers musicaux comme le jazz ou la musique savante.

Et avant la postface d'Henning Lohner, Juliette Boisnel développe le concept de « dialogisme » entre les différents discours zappaiens, en s'appuyant sur l'analyse décortiquée seconde par seconde de We're Turning Again (version du 25 mai1988). Si certaines citations dans quelques articles ne sont pas traduites, et c'est dommage, ici la chanson analysée est accompagnée d'une traduction complète, et c'est important.

De quoi donner du grain à moudre à tous les amateurs de FZ, et aux curieux, en choisissant son niveau de lecture.

Alain Lambert
14 mars 2018