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Paris, Théâtre des Champs-Élysées, 3 décembre 2018 —— Frédéric Norac.

Violetta et son double : La Traviata

La Traviata, Théâtre des Champs Élysées. Photographie © Vincent Pontet.

L’opéra commence dans une ambiance funèbre. Le chœur massé en fond de scène contemple le double de Violetta errant en camisole parmi des lits d’hôpital, tandis qu’à l’avant-scène sous un drap se cache un cadavre, le sien. Il va bondir en robe de tulle rouge pour la première fête, dans un élan de vie qui est aussi celui du désespoir. Dans cette Traviata dont elle fait  l’histoire d’une lutte contre une mort inévitable, Déborah Warner joue sur un double récit et contrepointe le désir de vivre de Violetta par des images de sa propre agonie dont on comprend qu’elles sont celles de son imaginaire et qui se rejoignent lorsque son double lui transmet sa chemise de mort à la fin de la fête chez Flora.

La mise en scène a le mérite de la fluidité et récupère finement d’un tableau à l’autre les rares accessoires : les lits à barreaux, les fleurs de la fin du premier tableau ou les billets de banque du deuxième acte qui traînent encore sur le sol au troisième. Sur le plateau nu au sol brillant et glacé, l’omniprésence du corps médical — infirmières et médecin en blouse blanche — nous rappelle à tout moment la maladie de l’héroïne et son refus de mourir. Si cette présence paraît parfois un peu envahissante et appuyée, elle prend tout son sens au dernier tableau tandis qu’elle agonise sur un lit médicalisé dans la lumière crue d’un jour artificiel.

La Traviata, Théâtre des Champs-Élysées. Vannina Santoni (violetta), Saimir Pirgu (Alfredo). Photographie © Vincent Pontet.

Comme toutes les grandes Violetta, Vannina Santoni s’affirme au fil des actes et son incarnation culmine dans un dernier tableau d’une intensité vocale et scénique impressionnante. Non seulement la voix est exactement celle du rôle — une jeune lyrique à l’aigu puissant et brillamment projeté dont la maîtrise du mezzo piano est d’une grande interprète —, mais la chanteuse fait preuve d’une musicalité sans faille face à la complexité et aux exigences d'un rôle réputé pour réclamer trois voix. Sans doute mûrira-t- elle encore son interprétation qui paraît un peu extérieure dans « Ah forse è lui » et a besoin pour éclater, de l’énergie suicidaire du « Sempre libera » où elle rompt définitivement la glace. Face à elle, l’Alfredo de Saimir Pirgu est idéal de  timbre et de style et donne à son personnage toute la fougue et la virilité voulue. Laurent Naouri en Germont Père n’est pas exactement le baryton verdien attendu, mais il compense par le volume ce qui lui manque d’âpreté et de fausse bonhomie pour donner toute sa dimension à son personnage et à ses ambivalences. Dans une belle galerie de seconds rôles, on distinguera l’Annina touchante de Clare Presland , le Gastone au joli timbre de Matthieu Justine et un trio de clefs d'ut (Marc Barrard, Francis Dudziak et Marc Scoffoni) d'excellent niveau. Catherine Trottmann en revanche paraît encore un peu jeune pour Flora.

La Traviata, Théâtre des Champs-Élysées. Vannina Santoni (violetta). Photographie © Vincent Pontet.

Le choix d’un diapason abaissé à 432 assombrit les timbres — vocaux et instrumentaux — et sollicite particulièrement le registre central des chanteurs, laissant une impression étrange d’inconfort dans les premières scènes, mais, une fois l’oreille habituée à cette transposition, la douceur légèrement voilée de la sonorité orchestrale convient bien au climat intime et morbide du chef d’œuvre de Verdi. Jérémie Rhorer en donne une lecture raffinée et d'une belle intensité respectant l'intégrité de la partition et accordant aux deux grands airs de Violetta, leur reprise, à celui d'Alfredo sa cabalette, mais refusant les contre-notes non écrites. Une mention également pour le chœur de Radio-France remarquablement préparé. Toute la presse parisienne l'a déjà dit, à l'issue de la première, mais il n'est pas inutile de le répéter : une grande Violetta est née et, à coup sûr, elle ira loin.

Prochaines représentations les 5, 7 et 9 décembre.

Spectacle enregistré et diffusé par France Musique le 16 décembre à 20h.

Frédéric Norac
3 décembre 2018

 

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