Roberto Alagna (Samson), Marie-Nicole Lemieux (Dalila). Photographies © Jean-Baptiste Millot - Manuel Cohen..
Duo de choc pour ce Samson et Dalila proposé par Radio-France et les Grandes Voix en clôture de leur saison d’opéras en version de concert. À 55 ans tout juste sonnés, Roberto Alagna qui vient de triompher dans le rôle-titre au Staatsoper de Vienne semble désormais avoir acquis la largeur vocale qu’il a longtemps cherchée pour aborder ces rôles spinto dont il a toujours rêvé et qui, souvent, lui échappaient. Avec la maturité, la voix a trouvé l’assise qui lui permet d’affronter une tessiture centrale quasi wagnérienne avec une projection et un éclat impressionnants. Surtout, le ténor, avec sa diction légendaire, a totalement intériorisé le rôle et en restitue toute la dimension religieuse et même mystique. Il y a en effet dans le Samson de Saint-Saëns, comme dans celui de la Bible, une dimension fortement messianique qu'il assume et restitue pleinement dans la très belle scène finale, interprétée les yeux clos, pour suggérer la cécité du personnage. On a entendu des Dalila au timbre plus riche et au grave plus nourri que Marie-Nicole Lemieux mais notre mezzo canadienne « nationale » incarne son personnage avec beaucoup de conviction et des envolées dans l’aigu, certes un rien métalliques mais tout à fait spectaculaires, et en incarne toute la perversité et le cynisme. Sans démériter, Laurent Naouri en Grand Prêtre de Dogon semble un cran en dessous de ses partenaires, faisant reposer son interprétation sur une caractérisation très sentie, mais sa voix de baryton-basse intermédiaire manque intrinsèquement de noirceur et de tranchant pour ce rôle d’authentique baryton.
Autour d’eux, le plateau offre une galerie de petits rôles de grand luxe avec notamment la basse énorme (et peu idiomatique) d'Alexander Tsymbaliuk (qui laisse présager de belles soirées lorsqu'il incarnera Boris à l'Opéra de Paris en juillet) et Renaud Delaigue impeccable en Vieillard Hébreux. L’autre grand triomphateur de cette soirée électrique est le chef russe Mikhaïl Tatarnikov.
Mikhail Tatarnikov. Photographie © D. R.
À la tête de l’Orchestre national de France et des chœurs de Radio France exemplaires, sa direction sportive où bras et jambes sont toujours en action, ménage un parfait équilibre entre le ton oratorien de certains passages choraux et le dramatisme enflammé des scènes intimes, restituant la beauté raffinée des grands préludes et la luxuriance sonore de la bacchanale du troisième acte sans jamais verser dans le kitsch ou le racoleur. La tension qu'il insuffle à sa lecture et la puissance sonore qu'il déchaine dans certains finals ne nuisent jamais au plateau vocal. Le triomphe final, avec quatre rappels et une salle debout, fait pâlir le souvenir de la production de l'Opéra de Paris de 2016, quelque peu ratée, malgré la présence de la superbe Dalila d'Anita Rachvelishvili.
Concert enregistré et diffusé par France Musqiue le 24 juin à 20h.
Frédéric Norac
15 juin 2018
Faust revivifié par la musicologie —— Deux solitudes en un acte : Manga Café ; Trouble in Tahiti —— Gounod dans les affres du surnaturel : La nonne sanglante — Les enfants de la République chez le Roi Soleil — Noir, c'est noir : Orfeo ed Euridice de Gluck — Michael Spyres : un ténor-phénomène.
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Dimanche 13 Janvier, 2019 6:03