Nettement à l'écart de la grande floraison des années 1784 à 1786, ces deux ultimes concertos pour piano datent respectivement de 1788 et de 1791. Surnommé « du Couronnement » au motif que Mozart l'aurait joué en octobre 1790 à Francfort à l'occasion du couronnement de Leopold II, le concerto en re majeur K 537, tout d'élégance et de séduction, se voit parfois taxé de « facilité », certains y voyant presque un retour tardif à la galanterie. Au surplus, la partition donne quelques soucis aux interprètes soucieux d'authenticité, car, dans de nombreux passages, le compositeur ne s'est pas donné la peine de noter toute la partie de piano. Nonobstant ces menues réserves, cette œuvre qui porte déjà quelques signes du suprème détachement du dernier Mozart (cf à ce propos le Larghetto central dont le thème, pour Olivier Messiaen, évoque la délicatesse d'un enfant racontant un conte de fées) bénéficie d'une large popularité, et le doit certainement au charme souverain qui s'en dégage, mais aussi à une science de l'écriture qui atteint parfois des sommets : « Quelle maîtrise [en particulier] dans l'art d'enchaîner les harmonies modulantes en dissimulant les audaces ! »119
Chef-d'œuvre ultime de pureté et de transparence, le Concerto en si♭majeur K 595 constitue « un miracle d'ambiguïté, mi-sourire, mi-larmes, dans une sérénité retrouvée qui n'est peut-être que de la résignation. »120 D'une absolue perfection, cette œuvre décourage presque les commentaires tant elle est représentative de la dernière manière du compositeur, avec la sublime ingénuité de ses thèmes, son langage supérieurement décanté et sa luminosité étrange, quasi crépusculaire. Certes, avec son rondo final plein de fraîcheur, elle se conclut sur une note juvénile et apparemment optimiste, mais, de la part de Mozart, il s'agit peut-être, en ce mois de janvier 1791, d'une forme supérieure de décantation spirituelle : « Jamais sa musique n'a été aussi empreinte de l'esprit d'enfance. Je ne dis point cela par métaphore : dans le Larghetto il reprend un air qui l'a frappé dès son enfance (Ich hatte einen Kameraden) et le Finale a pour thème la mélodie d'un des trois Lieder qu'il écrit en même temps pour des enfants. »121 En tout cas, on est loin du pianiste-compositeur à la recherche du succés des premières années viennoises : s'il est « à la fois complexe et ambitieux, mais avec une pudeur qui le fait ressembler à une confidence », ce 27e concerto, presque au même titre que le concerto pour clarinette, s'entend comme « l'adieu de Mozart au royaume de la musique pure. »122
Concerto no 27 en si♭ majeur K 595 (II. Larghetto) par Daniel Barenboim et l'English Chamber Orchestras119. Hocquard Jean-Victor, Mozart, de l’ombre à la lumière. Jean-Claude Lattès, Paris 1993, p. 252.
120. Parouty Michel, dans François-René Tranchefort (dir.), « Guide de la Musique symphonique », Fayard, Paris 2002, p. 550.
121. Hocquard Jean-Victor, op. cit., p. 254.
122. Szersnovicz Patrick, dans « Le Monde de la musique » (264), avril 2002
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Samedi 19 Octobre, 2024