Opera Louise, Moscou Paradis. Photographie M-Dougados.
Au regard de ce que durent être les années 1950-1960 dans la vie de Chostakovitch, l’apparente légèreté et l’optimisme de façade de son opérette Moskva, Cheremushki (Moscou, Quartier des cerises), créée en 1959 à Moscou, peuvent paraître ambigus voire un rien suspects. Lui-même, semble-t-il, déprécia en privé une œuvre qu’il considérait comme médiocre et écrite pour complaire aux diktats du pouvoir en place et à l’image que celui-ci voulait donner de l'Union Soviétique de l'après-Staline en pleine modernisation. Pourtant l’humour subtil du livret, le ton un peu désabusé et fataliste typiquement slave, la richesse d’une partition pleine d’inventions et dont l’éclectisme d’inspiration et le caractère populaire n’excluent pas un grand raffinement, en font pour le spectateur d'aujourd'hui une œuvre aussi surprenante que séduisante et dont le second degré ne fait aucun doute. Son succès fut énorme à l'époque et elle fit l'objet d'une très jolie adaptation cinématographique Tcheremouchki en 1963 qui a largement contribué à sa postérité.
Cette histoire d'apparatchik corrompu qui s'approprie l'appartement tant convoité de la petite Lidotchka et de son amoureux Boris mais finit par être démasqué et déchu de ses responsabilités par le Parti est d'évidence une ridicule utopie et sa mise en scène un pied de nez à la propagande d'état.
C'est d'évidence la gravité à l'arrière-plan du divertissement qu'ont voulu souligner les créateurs de ce spectacle en le rythmant d'intermèdes sombres et en y faisant circuler, au milieu de l'agitation souvent hilarante de ce petit peuple quelque peu écervelé, un personnage muet, fantomatique et égaré, le concierge qui semble à sa façon faire le lien avec la Russie des Gogol et autres Ostrovski.
Opera Louise, Moscou Paradis. Photographie M-Dougados.
La production de la compagnie suisse Opéra Louise (originaire de Fribourg) est une remarquable réussite. Basée sur une réduction de la partition pour deux pianos et percussions, avec des moyens scéniques plus que limités, la mise en scène de Julien Chavaz réussit à faire vivre les dix personnages de cette satire sociale plutôt bon enfant avec une totale évidence, tous continuent de nous parler à près de 60 ans de distance avec leurs rêves simples, leurs doutes, leurs fragilités et leur force. On distinguera dans une distribution qui mériterait ou presque d'être intégralement citée pour son mélange de qualités théâtrales et vocales, le remarquable Drebedniov d'Alexandre Diakoff (plus veule que nature) et sa complice, la Vava de Cassandra Stornetta, le Sacha de Yannis François et Nina Van Essen en Macha, le remarquable Boris de William Berger, l'amoureux de la très agréable Lidotchka de Sheva Tehoval. Un regret pour le Serguei de Sergiu Saplacan dont l'indisposition (annoncée) nous prive d'évidence d'un joli ténor lyrique.
Spectacle présenté à Clermont-Ferrand les 8 et 10 novembre 2018
Frédéric Norac
16 février 2018
Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil, ☎ 06 06 61 73 41.
ISNN 2269-9910.
Mardi 12 Novembre, 2024