Michael Spyres. Photographie © D. R.
Plus qu’un ténor d’exception, Michael Spyres est un véritable phénomène vocal. Capable d’aborder dans la même soirée un répertoire qui le mène de l’héritage des hautes-contre à la française avec l’Ariodant de Méhul aux ténors lyriques de l'école naturaliste comme le Julien de la Louise de Charpentier en passant par Offenbach (Hoffmann et « La légende de Kleinzach » qu'il interprète avec force mimiques), Ambroise Thomas et Delibes, et de finir son concert sur un air d'opéra-comique — le fameux Postillon de Longjumeau — dont il s’amuse à détailler la délicatesse un rien maniérée de l'écriture et auquel il ajoute quelques ornements de son cru. Entre-temps il sera passé sans solution de continuité (mais non sans dégâts) de l’Invocation à la nature du Faust de Berlioz, chantée avec une puissance impressionnante, à l’air de Des Grieux à Saint-Sulpice (dans Manon de Massenet) où l’aigu en voix de tête a du mal à sortir.
Cet éclectisme laisse perplexe et malmène parfois cette voix exceptionnelle, si centrale qu'elle lui permet de chanter les fameux baryténors rossiniens, et qui a du mal à choisir son type d’émission. A-t-on affaire un ténor léger ou de demi-caractère (Gérald dans Lakmé) aux aigus subtils travaillés en voix de tête ou en voix mixte, ou est-ce un pur lyrique comme il tente de laisser penser avec son Air de la Fleur de Carmen, ou carrément un ténor dramatique à la voix centrale, à l'aigu de poitrine vaillant coulé dans le même bronze que le légendaire Gilbert Duprez, inventeur de l’ut de poitrine ? Impossible de le décider à l'issue de ce concert éclectique où chacun trouvera de quoi nourrir sa propre perception.
La vaillance, la générosité, une empathie évidente avec le public qui lui fait fête en tous cas sont évidentes. Elles confirment que ce jeune Américain (né dans le Missouri) qui aime tant notre répertoire, même si son articulation très soignée mais un rien exotique laisse parfois l'impression qu'il a de notre langue une compréhension purement phonétique, est bien le bon choix pour cette Nonne sanglante de Gounod que ressuscitera l'Opéra-Comique en juin prochain. On pourra également le retrouver en août prochain dans le Barbier de Séville aux Chorégies d'Orange et il abordera Florestan dans le Fidelio de Beethoven en octobre prochain au Théâtre des Champs-Élysées. Un rendez-vous très attendu car ce sera a priori son premier rôle germanique. On le voit, son répertoire ne recule devant aucun écart de registre et c'est évidemment ce qui le rend si captivant en tant qu'interprète.
Un mot quand même de l'orchestre de chambre Nouvelle-Aquitaine qui l'accompagne et lui permet grâce à quelques intermèdes orchestraux de reprendre un peu son souffle dans ce programme copieux. Jean-François Heisser qui le dirige avec compétence a choisi avec beaucoup d'à-propos des pièces qui valorisent singulièrement les vents et les bois affutés de cette excellente phalange dont la suite d'orchestre (transcrite par qui ?) basée sur quelques numéros célèbres de Carmen — la habanera, le chœur des enfants, la danse bohême — est un des moments les plus brillants et les plus réjouissants du concert.
Frédéric Norac
4 mai 2018
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