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Rochefort, Théâtre de la Coupe d'Or, 27 avril 2018 —— Frédéric Norac.

Les sortilèges d'Olivier Dhénin : L'enfant et les sortilèges de Ravel

L'enfant et les sortilèges, par la compagnie Winterreise, la maîtrise de Rochefort et le chœur d’enfants des écoles et collèges du pays rochefortais, Théâtre de la Coupe d’Or de Rochefort. Photographie © D. R.

On se souvenait de la poésie délicate toute en demies teintes de la production de L'île du rêve de Reynaldo Hahn, présentée à L'Athénée en 2016,  et l'on était curieux de voir comment Olivier Dhénin aborderait L'enfant et les sortilèges, la fantaisie lyrique de Colette et Ravel si complexe à mettre en scène.

On retrouve ici la délicatesse de touche, le goût de la suggestion qui caractérisaient déjà le précédent opus. Le metteur en scène joue la carte de la simplicité et du « naturel », installant le premier tableau dans l'univers domestique de la chambre - intérieur bourgeois fin de siècle - où l'enfant puni assiste à la révolte de ses jouets et des objets familiers qu'il a maltraités : la théière, la tasse chinoise, le fauteuil, la bergère, la pendule. Les personnages, en costume blanc, sont caractérisés par un simple accessoire et c'est leur gestique qui vient compléter le portrait. Elle est singulièrement réussie dans le cas de la première apparition, celle de la théière et de sa tasse qui ont l'air de deux désossées de cirque. Dans un éclairage qui reste souvent diurne, l'impression d'irréalité qui devrait se dégager de l'ensemble fait un peu défaut malgré quelques idées fortes telle cette princesse toute de tulle vêtue qui sort de l'armoire à glace et y disparaît comme happée par le vide. Il faut attendre le second tableau et le basculement dans le climat nocturne du jardin après l'apparition du chat, accompagné d'une chatte au déhanchement suggestif, pour qu'enfin la dimension onirique éclate pleinement dans les lumières imaginées par Anne Terasse tandis que s'ouvre le fond de scène et que tombe des cintres une pluie de fleurs en suspension. La magie commence alors à agir vraiment et l'on se sent captivé par ces arbres et ces animaux anthropomorphes, finement évoqués à l'aide de quelques accessoires : le chat et son masque, la libellule et son tutu en forme d'ailes, la grenouille et ses lunettes de plongée, l'écureuil et sa perruque carotte...

L'enfant et les sortilèges, par la compagnie Winterreise, la maîtrise de Rochefort et le chœur d’enfants des écoles et collèges du pays rochefortais, Théâtre de la Coupe d’Or de Rochefort. Photographie © D. R.

Colette avait d'abord pensé écrire un argument de ballet avant que le musicien ne l'entraîne sur les voies de l'opéra. La partition finale en a conservé la présence d'une suite de danses dont les chorégraphies de Nina Pavlista tirent le meilleur parti pour animer le plateau. Au plan musical, la réduction pour quatre instrumentistes, un piano à quatre mains, une flûte et un violoncelle, si elle ne peut tout à fait remplacer la brillante orchestration du compositeur fonctionne plutôt bien dans le cadre d'un petit théâtre comme celui de la Coupe d'Or. L'équipe des sept jeunes chanteurs assurant dix-huit rôles différents est épatante tant scéniquement que vocalement et n'appelle aucun reproche, n'était un petit déficit dans l'articulation française, surtout sensible du côté des voix féminines.

Si le choix d' un enfant soprano pour le rôle-titre se comprend pour ce qu'il apporte de vérité au personnage par son timbre et une sorte de fragilité intrinsèque, il faut bien avouer que même dans le contexte d'une petite salle, sa projection limitée déséquilibre un peu le plateau, mais c'est un péché véniel au regard de la spontanéité et de la présence théâtrale de l'interprète. À l'exception d'un décalage qui gâte un peu le chœur des pastoureaux, les chœurs d'enfants — tous originaires de Rochefort et des environs — apportent une excellente contribution à l'ensemble. Surtout, leur présence donne au spectacle cette dimension participative qui, dans une ville comme Rochefort, sans tradition lyrique, est garante de l'intérêt de la population locale. Elle lui assure, au-delà de son succès ponctuel, un véritable rôle dans la découverte de l'opéra par un public qui n'y avait pratiquement pas accès, ce qui n'est pas le moindre de ses mérites.

L'enfant et les sortilèges, par la compagnie Winterreise, la maîtrise de Rochefort et le chœur d’enfants des écoles et collèges du pays rochefortais, Théâtre de la Coupe d’Or de Rochefort. Photographie © D. R.

Frédéric Norac
27 avril 2018

Frédéric Norac : norac@musicologie.org. Ses derniers articles : Soirée des Mille et une nuits : Mârouf, savetier du CaireLes régents de la musique française : Musique pour la duchesse du Maine Le retour d'Auber : Le Domino noir à l'Opéra-ComiqueRépertoire erroné ? Stanislas de Barbeyrac aux « Lundis de l'Athénée »Opérette soviétique : Moscou Paradis d'après ChostakovitchPasticcio postmoderne : Et in Arcadia ego : création sur des musiques de Jean-Philippe RameauVaudeville Charles X : le comte Ory a l'Opéra-ComiqueTous les articles de Frédéric Norac.

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Mardi 1 Mai, 2018 2:43