Opéra-Bastille, Les Hugenots. Photographie © Agathe Poupeney.
Plus de mille représentations sur la scène de l’Opéra de Paris de 1836 à leur disparition un siècle plus tard, un record jamais égalé même par La Juive de Halévy, cet autre blockbuster du répertoire français. Admiré de ses contemporains puis dénigré jusqu’à la condamnation par certains de ceux qui l’avaient encensé, sans doute pour faire oublier leurs larcins dans cette riche réserve musicale où tout l’opéra français du XIXe siècle est allé chercher sa manne, l'opéra de Meyerbeer n’avait plus paru digne de notre scène nationale depuis 1936.
Certes, ici la musique est souvent spectacle, l’inspiration éclectique, à cheval entre les codes du grand opéra et l’émergence du drame romantique ; la virtuosité mise en avant pour elle-même et le décoratif musical priment parfois sur l'urgence du théâtre, mais l’inspiration s’élève par moments d’une façon étonnante, comme dans ce sublime duo de l’acte IV, encensé par Wagner lui-même et dont, à n’en pas douter, il se souviendra pour Tristan et Isolde.
La nouvelle production de l’Opéra Bastille souffre hélas! d’une mise en scène convenue, dépourvue d’imagination et qui prive toute la première partie d’un quelconque intérêt dramatique. Le metteur en scène a choisi une voie intermédiaire entre la transposition contemporaine et le spectacle d’époque évoqués par les costumes hybrides assez sophistiqués, sans qu’on sache vraiment bien ce que signifie cette stylisation. Surtout, il ne parvient pas à animer le long premier acte qui semble une enfilade de morceaux de bravoure. Les protagonistes paraissent perdus au milieu de l’abondante figuration et le spectateur peine à les identifier. L’imposant décor de coursives et d’escaliers où circule sans discontinuer une théorie de serviteurs portant des plateaux en vue d’évoquer le banquet des nobles catholiques est d’une monotonie décourageante. Si le deuxième acte offre quelque progrès, il faut en remercier l’apparition de la merveilleuse Marguerite de Valois de Lisette Oropesa.
La soprano américaine est un modèle de style, de grâce et d'articulation, modulant à plaisir son soprano lyrique léger aux exigences de son grand air à vocalises avec de subtiles nuances et des variations de haute école. Car ce n’est certes pas ce décor avec ses troncs nus et ses bassins rectilignes qui est susceptible d’évoquer la douceur de vivre du « beau pays de la Touraine », malgré la présence de plantureuses odalisques nues, bien loin tout de même de l’idéal féminin prôné par l’École de Fontainebleau.
Après un troisième acte assez terne et peu lisible, n'était le beau duo de Valentine et de Marcel, les deux derniers sont portés par la force des situations et convainquent un peu plus, malgré la persistante pauvreté des décors et leur laideur (l'appartement de Valentine a l'air d'avoir été meublé chez Ikea). La réalisation de la célèbre Bénédiction des poignards notamment ne manque pas de force visuelle, bien qu’un peu gâtée par les errances de la voix instable du Comte de Saint Bris de Paul Gay, et l'évocation du massacre de la Saint Barthélemy comme toile de fond du dernier est plutôt réussie.
Le grand duo évoqué plus haut révèle toute sa beauté malgré les limites du Raoul de Yosep Kang qui tout au long de la soirée n’aura cessé de craquer ses aigus. Le ténor américain possède certes un assez joli timbre mais reste un interprète appliqué et sans charisme. En Valentine, Ermonela Jaho n’a pas tout à fait la largeur des graves exigés dans un rôle écrit pour Cornélie Falcon mais elle le compense largement par son tempérament et la beauté de son timbre. Dans le rôle assez ingrat de Marcel, le soldat bourru et buté qui protège et accompagne partout Raoul, Nicolas Testé se révèle comme un des meilleurs éléments de cette distribution avec une basse splendidement timbrée et une caractérisation sobre et efficace. En Nevers, le baryton de Florian Sempey parait de plus en plus couvert et son émission forcée alliée à sa composition trop expressionniste privent son personnage de toute noblesse.
Peu crédible physiquement dans son justaucorps cramoisi, le page de Karine Deshayes possède en revanche toute la présence vocale et la virtuosité souhaitables pour le célèbre « Nobles seigneurs, salut ». L’ensemble des petits rôles, luxueusement distribués (Cyril Dubois en Tavannes, Philippe Do en Bois-Rosé pour ne citer qu'eux), souffre du peu de relief que leur confère la mise en scène. Entaché de pas mal de coupures, notamment les danses bohémiennes de l’acte III ainsi que le menuet et le galop de la fête du cinquième, l'opéra montre parfois un peu trop ses ficelles, surtout dans les trois premiers actes, mais, à côté d'incontestables trivialités, l'œuvre révèle souvent un expérimentateur étonnant et un orchestrateur de génie, comme le notait déjà Berlioz en son temps, et les deux derniers actes balaient toute réserve.
Spectacle visible sur Culturebox en replay jusqu'au 4 janvier 2019
Frédéric Norac
24 octobre 2018
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Lundi 29 Octobre, 2018 2:18