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22 novembre 2018 —— Jean-Marc Warszawski.

L’intégrale des valses de Chopin par Vittorio Forte

Chopin, Valses, Vittorio Forte (piano), intégrale des valses de Chopin. AEVEA / OnClassical 2018.

Enregistré les 27-28 mars 2018, Saletta Acustica « Eric James », Pove del Grappa, Vicenza, Italie.

Formé en Italie, son pays natal, puis en Suisse, notamment au Conservatoire de Lausanne, Vittorio Forte est un pianiste qui impose peu à peu une attention mélomane méritée tant pour ses apparitions sur les scènes internationales que pour ses enregistrements. Musicologie.org a eu l’occasion de le rencontrer à Caen en 2015, à l’Institut Goethe de Paris l’année suivante ou par l’entremise d’un cédé de transcriptions réalisées par  Franz Liszt et Earl Wild d’œuvres  de SchubertSchumann, Mendelssohn, Chopin, Rachmaninov, Gershwin.

Pour son cinquième cédé, Vittorio Forte a enregistré l’intégrale des valses de Frédéric Chopin, dont les œuvres pour piano hantent les studios d’enregistrement du monde entier et la rayons des disquaires.

Le piano de Chopin fait partie, pour les pianistes comme pour les mélomanes, d’une espèce de pratique addictive d’objets archiconnus et d’apparence simple, dont les innombrables combinaisons internes possibles obligent en permanence à faire des choix pianistiques, en partie fixés par une tradition que les têtes dures ne sont pas obligées de suivre. C’est un paysage changeant, les infinies nuances de Chopin.

La personne même de Frédéric Chopin est assez peu assignable, peut-être à cause de l’hagiographie qui l’entoure plus de brume que de lumière. Je jeune virtuose allant à l’Ouest chercher fortune, se fixant à Paris, passant pour un pauvre (il était loin de l’être) révolutionnaire exilé. Il était plutôt réactionnaire, mais amant de George Sand, l’amie de ces républicains qu’il n’aimait pas et qu’il devait côtoyer.

Sa musique est également hybride. On la méprise parfois parce qu’elle serait de l’improvisation notée, on oppose à ce fait l’attrait qu’avaient sur lui les structures classiques et l’écriture serrée qu’il appréciait particulièrement dans les œuvres de Johann Sebastian Bach, il corrigeait abondamment ses partitions, et dans les recopies qu’il offrait aux personnes qu’il voulait honorer, y intégrait des variantes. Musique écrite ? Musique improvisée ?

On est chez lui dans la pure mélodie accompagnée. Une assise harmonique et rythmique à la main gauche, et un raffinement mélodique posé dessus, avec des volutes chromatiques où les ornements deviennent structurels. Ornements ou mouvements mélodiques en propre ?

Dans les mazurkas ou dans les valses, cette assise rythmique est normalement stricte et régulière, ce sont des danses, pas des fantaisies ou des nocturnes. Pourtant, il est impossible d’imaginer celles de Chopin obéir à une telle régularité (à cause de mauvaises habitudes qui nous ont formatés ?). Chez lui, le rubato, c'est-à-dire la nuance rythmique, la retenue, le ralentissement, est également structurel à ses œuvres pour piano. C’est une question qui se discute, mais ne se résout seulement dans ce que le pianiste a décidé au moment de sa prestation. Il y a donc la cadence imposée de la danse contre cette mélodie qui ne veut pas vraiment s’y plier. Cette mélodie aux accents caractéristiques qu’on dit avoir été  importée d’Irlande à Saint-Pétersbourg par John Field, mais qui plus certainement était dans la tradition musicale de la Pologne (son territoire), comme en témoignent les pièces de Maria Szymanowska ou du prince Michał Kleofas Ogiński qui ont sans aucun doute marqué Chopin. Ce type mélodique qu’on reconnaît sans peine entre mille a dans son cœur des allures modales, lequel, tordu de chromatismes, tend à échapper à la tonalité pourtant solidement affirmée par la main gauche. Que faire entendre ?

Les témoignages sur le jeu de Chopin concordent : il était irrégulier et jouait sans forcer le son, qui parvenait aux auditeurs réunis au salon de manière assez étouffée.  Chopin qui devait avoir une idée assez aristocratique de sa personne n’a jamais battu les planches comme son ami  Franz Liszt, il ne se donnait pas en spectacle. Interprétation pseudo historique  ou pas ?

Vittorio Forte joue un piano Steinway, un de ces grands pianos modernes, très vibrants,  conçus pour porter et projeter le son, et côté partitions, des versions peu jouées, apportant de légères variantes aux habitudes, que les addicts chopiniens remarqueront.

Il semble qu’il ait choisi de suivre son bon goût et son oreille assurée, et n’avoir pas fait de choix radicaux ou définitifs. Il ne fait pas briller la virtuosité, ce qui est aussi de très bon goût, reste dans la demi-teinte et l’ambiguïté chopinienne,  avec un Steinway parfaitement maîtrisé, sans excès de résonnance, y compris dans les finale, parfaitement et clairement enregistré, sans pousser les basses. Une main gauche solide, mais assez discrète pour mettre en valeur le règne de la mélodie.

Ici et là une série de rubatos un peu plus appuyée se fait remarquer, comme des respirations ou inflexions vocales rejoignant le flux musical. C’est ainsi qu’on fait une déclaration d’amour quand elle n’est pas apprise pas cœur.

 

 

Jean-Marc Warszawski
22 novembre 2018

 

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