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Vienne, 1er Janvier 2018, par Jean-Luc Vannier ——

Ingela Brimberg, incandescente Brünnhilde au Theater an der Wien

Ingela Brimberg (Brünnhilde) et Aris Argiris (Wotan). Photographie © Theater an der Wien.Ingela Brimberg (Brünnhilde) et Aris Argiris (Wotan). Photographie © Theater an der Wien.

Au commencement était le meurtre. Celui de Siegfried par Hagen dans la tétralogie de Richard Wagner. Un assassinat qui introduit chacune des trois soirées de « Die Ring-Trilogie » au Theater an der Wien : Hagen, Siegfried et Brünnhilde dont nous avons assisté à la dernière représentation dimanche 31 décembre à Vienne. Sur la musique et le texte du maître de Leipzig, le metteur en scène Tatiana Gürbaca, la dramaturge Bettina Auer et le chef d'orchestre Constantin Trinks ont pris le parti d'aménager et de séquencer l'œuvre wagnérienne selon les trois personnages d'après ce meurtre : « point à partir duquel Wagner a commencé son Ring » explique Tatiana Gürbaca dans une discussion avec Bettina Auer. Et de préciser : « Puis Wagner remarqua qu'il avait besoin de bien plus de préhistoire qui ne se laissait pas raconter dans un long monologue mais qui devait être rendue visible sur une scène… Ainsi furent ajoutés Siegfried, Walküre et Rheingold ». Et de se demander : « Comment en est-on arrivé à ce meurtre ? ».

L'autre axe de ce fascinant travail de recherche et d'introspection, sous la forme d'un jeu approfondi sur les tensions pulsionnelles et sur les alternances enchevêtrées du bien et du mal, des trois personnages unis par ce crime — Alles is untrennbar miteinander verwoben (tout est inextricablement entrelacé) insistent à la limite du pléonasme les auteurs — porte sur les conséquences de cet acte sur la deuxième génération. Une option qui implique de nombreux flash-back dans la première partie de Brünnhilde : rapports d'ambivalence incestueuse entre Wotan et sa fille préférée lorsqu'elle était plus jeune, rappel de la scène, cruciale dans le basculement de toute l'épopée du Ring et « moment archétypique chez Wagner » selon les auteurs, de la désobéissance de la Walküre à Wotan. Mais aussi, de manière plus spéculative sur l'avenir : « comment les actes et les responsabilités des générations antérieures, c'est-à-dire ceux de Wotan et d'Alberich, affectent la vie des générations suivantes sur le plan aussi bien politique que privé ». Dans cette version moderniste, oscillant entre représentations symboliques et petits accessoires superflus (Henrik Ahr pour la scénographie, Barbara Drosihn pour les costumes, Stefan Bolliger pour les lumières), les puristes wagnériens ne s'y retrouveront peut-être pas. Mais force est de reconnaître, nonobstant la rupture parfois perturbante des enchaînements scéniques et musicaux wagnériens auxquels la tétralogie nous a depuis longtemps habitué, une certaine cohérence dans la conception des trois créateurs. « Wagner n'a-t-il pas tenté de représenter le monde entier sur scène » s'interrogent-ils ? Une réussite qui tient aussi à la structure du Theater an der Wien : la proximité entre le plateau et le public plonge ce dernier sans coup férir dans l'histoire. Une évidence ressentie hier soir dès les premières minutes de l'opéra.

Ingela Brimberg (Brünnhilde) et Daniel Brenna (Siegfried). Photographie © Theater an der Wien.Ingela Brimberg (Brünnhilde) et Daniel Brenna (Siegfried). Photographie © Theater an der Wien.

La direction musicale de Constantin Trinks nous séduit par l'intensification — ampleur voire opulence des phrases mélodiques, couleurs vives des sonorités instrumentales — suggérée aux pupitres de l'ORF Radio-Symphonieorchester Wien mais elle nous déçoit par le manque de tonicité dans les rythmes. À l'exception notoire des funérailles de Siegfried. Sa direction du plateau semble plutôt sélective mais cette distinction repose sans doute sur la confiance établie avec certains des artistes. Les interventions du « Arnold Schönberg Chor » (Erwin Ortner) sont parfaitement synchronisées.

La distribution est de valeur très inégale. Notre voisin de rangée a beau insister sur le fait que les chanteurs s'époumonent depuis trois jours, rien ne justifie une telle disparité dans les capacités vocales. Nous ne tarirons pas d'éloges pour le rôle-titre chanté par Ingela Brimberg dont les premières mesures sur scène nous entraînent immédiatement — toute résistance serait vaine — au cœur du drame. Contrairement à certains de ses collègues, sa superbe ligne de chant ne faiblira pas d'un iota au cours des plus de trois heures de performance : voix superbement wagnérienne aux aigus clairs, brillants, aristocratiquement projetés. Ses « Liebe » tenus sans effort nous scotchent littéralement. Une densité interprétative vocale mais aussi scénique de qualité et qui redonne du souffle et de l'élan au plateau dès son apparition.  On souhaiterait vivement la voir et l'entendre à l'opéra de Monte-Carlo.

Campé par le baryton-basse Aris Argiris, Wotan lui donne une réplique des plus honorables malgré quelque instabilité dans les médiums. Mais l'incarnation charismatique puis finalement durement éprouvée du chef du Walhalla reste très convaincante. Franche déception, en revanche, pour le rôle de Siegfried : le ténor américain Daniel Brenna s'essouffle rapidement, force ses aigus qui en deviennent rares et semble mal à l'aise avec sa gestuelle de gentil héros. Certes, sa voix est parfois couverte par l'orchestre. Habitué de la scène azuréenne et notamment marseillaise après un inoubliable Der Fliegende Holländer, nous avons retrouvé avec plaisir et pour gage de succès, la basse Samuel Youn dans le rôle de Hagen.

Brünnhilde. Die Ring-Trilogie. Photographie © Theater an der Wien.Brünnhilde. Die Ring-Trilogie. Photographie © Theater an der Wien.

Parmi les trois filles du Rhin, Raehann Bryce-Davis (Wellgunde) sait admirablement chanter et surtout jouer avec une rare frivolité de ses rondeurs charnelles, Mirella Hagen (Woglinde et Walvogel) sonne de magnifiques notes hautes. Hélas pour Ann-Beth Solvang (Flosshilde et Waltraute), son très large et très embarrassant vibrato gâte passablement son chant au point que nous sommes soulagé de la voir quitter le plateau. Malgré une très belle voix aux graves stables, Kristjan Johannesson (Gunther) ne parvient pas à chanter équitablement ses interventions marquées par la faiblesse de projection vocale.

Im Anfang war die Tat dit Freud en reprenant une citation du Faust de Goethe. À l'issue de la représentation, légitimement ovationnée, le directeur général du Theater an der Wien est venu offrir le champagne à toute l'équipe sur le plateau. Il a profité du micro pour inviter l'ensemble du public à partager cette coupe au foyer à l'occasion du passage à la nouvelle année. Die Wien Schwärmerei !

Vienne, le 1er janvier 2018
Jean-Luc Vannier


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Mercredi 30 Octobre, 2024