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Nice, le 25 octobre 2012, par Jean-Luc Vannier.

Un « Simon Boccanegra » puissant et équilibré ouvre la saison lyrique à l'Opéra de Nice

Année Giuseppe Verdi oblige avec, en 2013, le bicentenaire de la naissance du compositeur italien, l'Opéra de Nice ouvrait mercredi 24 octobre sa saison lyrique avec la première de Simon Boccanegra. En attendant le lever de rideau, le mélomane pouvait également découvrir à cette occasion le foyer entièrement rénové de l'établissement de la rue Saint-François-de-Paule : finies les attentes interminables pour accéder à l'unique bar dans ce qui ressemblait à un hall de gare désertique. Plusieurs buffets du restaurant « Le Grand Balcon », sont désormais disséminés ici et là entre des petits salons aux fauteuils d'un rouge si vif qu'on les imaginerait aisément occupés par quelques cocotes emplumées du xixe siècle.

Simon Boccanegra Dimitris Tiliakos (Simon Boccanegra) et Barbara Haveman (Maria Boccanegra) Photographie © D. Jaussein.

Opéra en 1 prologue et 3 actes créé à la Fenice de Venise le 12 mars 1857, Simon Boccanegra dont l'action se déroule à Gênes au milieu du xive siècle, mêle luttes fratricides opposant la noblesse au peuple tout en divisant l'opulente cité entre les défenseurs de la papauté et les partisans d'un pouvoir impérial unificateur. L'intrigue politique se double d'un drame sentimental nourri de secrets de familles, d'amours défuntes et de filiations retrouvées. Malgré quelques innovations musicales introduites par le compositeur, notamment des passages mélodiques remplaçant des récitatifs secco, l'on reprocha à cette œuvre la mise en avant de la dimension politique au détriment de la trame affective. Une deuxième mouture créée en 1881 à la Scala de Milan sous l'influence du librettiste Boito ne connut qu'un succès éphémère. On trouvait cette fois-ci que la place prépondérante laissée aux voix graves ne suscitait pas l'engouement généralement provoqué par les tessitures aiguës.

Simoo, Boccanegra, Nice Dimitris Tiliakos (Simon Boccanegra). Photographie © D. Jaussein.

La version niçoise de ce Simon Boccanegra, produite par le Théâtre Communal de Bologne et le Théâtre Massimo de Palerme et destinée à être jouée au Royal Opera House de Mascate à Oman en décembre prochain, harmonise, voire équilibre l'architecture des aspects politique et émotionnel dans cet édifice lyrique. La subtile distribution des voix, où barytons et basses se partagent pourtant les rôles principaux, permet en outre à chaque artiste de trouver sa place juste et parfaite : rien ne pouvait plus altérer l'immense pouvoir de la séduction vocale.

Simon Boccanegra Barbara Haveman (Maria Boccanegra), et Dimitris Tiliakos (Simon Boccanegra). Photographie © D. Jaussein.

Sous la direction musicale de Philippe Auguin, emportant aisément la conviction de l'Orchestre philharmonique de l'Opéra de Nice autant que celle du public, la mise en scène de Giorgio Gallione amplifie la profondeur des caractères et exacerbe les attitudes. Les décors épurés de Guido Fiorato où la sombre froideur des murs de la cité génoise peut aussi côtoyer, l'instant d'après, la douceur nocturne et bleutée d'un horizon marin tout comme la lumière tamisée du complot alterne avec celle, plus rédemptrice, de la scène finale (Bruno Ciulli) sont autant d'effets qui ne nuisent pas au travail d'ensemble.

Simon Boccanegra Youri Vorobiev (Pietro) et Samuel Youn (Paolo Albiani). Photographie © D. Jaussein.

Saluons encore la distribution malgré un prologue dont certaines lenteurs scéniques et quelques instabilités vocales ont pu représenter une source d'inquiétude. Cela valait la peine de patienter. Une fois « chauffées », toutes les voix sans exception suscitèrent l'admiration. Déjà connu et apprécié du public niçois pour son interprétation l'année passée du Conte di Luna dans l'autre grande œuvre verdienne « Il Trovatore », Dimitris Tiliakos incarne un Simon Boccanegra débordant, si l'on ose dire, d'intériorité et de sensibilité, épris de justice et las des antagonismes sanglants. La voix toujours aussi bien charpentée et colorée du baryton d'origine grec, son jeu scénique aussi, illustrent à merveille ce nouage impossible du pouvoir, de l'amour et de la mort, l'un des éléments de ce trio infernal se substituant toujours à l'autre : en témoignent l'intensité dramaturgique de son duo ému avec sa fille Maria retrouvée à l'acte I ainsi que son agonie finale où il expire dans les bras de celle-ci. Dans le rôle féminin de Maria Boccanegra, la soprano néerlandaise Barbara Haveman trouve toujours la justesse vocale adaptée à la ponctuation de son histoire — épisode de rêverie, duo amoureux, engagement résolu — sans jamais briser l'agencement des voix masculines. La basse italienne Carlo Colombara campe avec talent un Jacopo Fiesco, noble génois partagé lui aussi entre la compulsion de la vengeance et un désir de pardon. Son duo empathique avec Simon Boccanegra à l'acte III n'est pas sans rappeler certaines des plus belles intonations fraternelles de Don Carlos. La voix chaude et claire du ténor tchèque Pavel Cernoch lui permet de figurer avec succès un Gabriele Adorno éperdu d'amour et angoissé d'une jalousie à même de le conduire, en pensées, au meurtre du Doge.  Une mention spéciale doit enfin viser la basse coréenne Samuel Youn dans l'interprétation très réussie de Paolo Albiani. Les chœurs de l'Opéra de Nice dirigés par Giulio Magnanini concluent ce plateau bien digne d'éloges. Sans exagération.

Nice, le 25 octobre 2012
Jean-Luc Vannier
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