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Monaco, 29 octobre 2018 —— Jean-Luc Vannier.

Éblouissant Das Lied von der Erde avec l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo dirigé par Eliahu Inbal

Eliahu Iinbal (direction). Photographie © OPMC.

Il s’agissait dimanche 28 octobre à l’auditorium Rainier III de Monaco de remonter le temps. Ou, plus exactement, d’éprouver dans la Passacaille, opus 1 d’Anton Webern cette richesse d’influences antérieures — celles de ses maîtres spirituels — avant d’entendre dans la foulée une œuvre majeure de l’un d’entre eux : Das Lied von der Erde de Gustav Mahler. Dirigée par Eliahu Inbal, la phalange monégasque présentait ses pupitres de violons et d’altos de part et d’autre du maestro, les violoncelles lui faisant face.

Prélude à un drame qu’il n’a, finalement, jamais écrit, la Passacaille opus 1 d’Anton Webern commence étrangement par une série de pizzicati minutieusement détachés. Cette œuvre de jeunesse (1908), composée quatre années après sa rencontre avec Arnold Schönberg dont il fut l’élève pendant six ans, porte la marque d’une transition, encore hésitante, entre accents wagnériens et mahlériens et l’entrée dans le Sérialisme des Viennois. Loin de se poursuivre comme dans le romantisme, la mélodie initiale s’abroge, se décompose en une multitude d’ondulations tonales et de soubresauts chromatiques, alternant dans une remarquable fluidité, tutti orchestraux et solo instrumental.

Avant-dernière œuvre du compositeur, Das Lied von der Erde (1907) de Gustav Mahler est une suite de six Lieder pour orchestre, contralto et ténor. Écrite par le compositeur à partir d’une traduction de poèmes chinois élégiaques ou plus caustiques et ce, d’après « La flûte chinoise » de Hans Bethge, cette symphonie — la neuvième si Mahler n’avait pas craint la superstition du chiffre si fatidique pour Beethoven — signe cet antagonisme pulsionnel annoncé par une lettre de juin 1879 à son ami intime Josef Steiner: « Élan vital le plus ardent, désir brûlant de la mort : ces deux sentiments règnent en moi tour à tour au point de se succéder parfois en l’espace d’une heure ». Alternance d’emportement passionné et de sombre résignation, Le Chant de la terre nous emporte autant par ses vastes mouvements orchestraux que par son intimisme méditatif, surtout dans la partie dévolue à l’alto.

Malheureusement, le ténor Christian Elsner n’était pas en grande forme : en témoignent ses forte poussifs et dénués de justesse dans « Das Trinklied vom Jammer der Erde »,  Allegro en fanfare faisant irrémédiablement songer à certaines ouvertures de Richard Strauss et où l’exaltation cède promptement le pas à l’angoisse avec « Dunkel ist das Lieben, ist der Tod ». Même critique pour son « Von der Jugend » où sa voix manque singulièrement de fluidité. Et ce, nonobstant une direction visiblement attentive à requérir mezzi et piani des pupitres.

La contralto Gerhild Romberger ne nous aura, en revanche, pas déçue : interprété avec une rare intensité, son « Der Einsame im Herbst », superbe plainte lancinante (« Mein Herz ist müde », Mon cœur est fatigué)  met également en exergue les talentueux hautbois de Matthieu Petitjean et flûte traversière d’Anne Maugue.

Profondeur également abyssale de l’émotion pour « L’adieu » (Der Abschied), morceau le plus étendu, qui réunit dans ce finale deux poèmes chinois de Mong-Kao-Yen et de Wang Wei chantant la respiration de la terre et la beauté du soir du monde. Hymne d’amour à une terre que l’on quitte pour mieux aller la rejoindre.  L’évanescence apaisante des harpes (Sophia Steckeler et Cécile Bontron) annonce, dans la douceur d’une mélodie aux accents repérables du célèbre Adagietto pour cordes et harpes de la Cinquième Symphonie de Mahler, le diminuendo ultime « Ewig…ewig ». Tellement éternel, tellement travaillé au piano par un Gustav Mahler dépressif — il consulta Sigmund Freud en août 1910 — et se réfugiant dans la musique que son épouse Alma Mahler déclarera avoir connu par cœur Das Lied von der Erde bien avant sa première création publique le 20 novembre 1911 à Munich sous la direction de Bruno Walter. Six mois après la disparition du compositeur. Et celui-ci d’écrire, déjà, en novembre 1880 à Emil Freund : « Si tu connais sur cette terre un homme heureux, dis-le-moi vite  avant que toute joie de vivre ne m’ait quitté ».  

La direction d’Eliahu Inbal est sobre, étonnamment souple et méticuleuse à la fois, laissant en apparence une imposante aire de liberté aux pupitres. « Il nous fait confiance » précisait d’ailleurs un instrumentiste. Sans doute faut-il aussi considérer le nombre suffisant de répétitions pour, dans une atmosphère qualifiée de « sereine » par plusieurs musiciens, estimer que les requêtes du maestro avaient été parfaitement intégrées et scrupuleusement restituées. Des pupitres littéralement ovationnés à l’issue du concert. Légitimement.

 

Monaco, le 29 octobre 2018
Jean-Luc Vannier

 

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Mardi 30 Octobre, 2018 0:28