Maria José Siri, Gregory Kunde. Photographie © D. R.
Une rencontre et des retrouvailles, c'est ce qu'offrait ce concert lyrique de l’orchestre du Teatro Comunale de Bologne au programme bizarrement construit et quelque peu éclectique où se bousculaient, selon les besoins de l'alternance entre airs, duos et temps de repos pour les chanteurs, des extraits d'opéras de Verdi avec l'ouverture et le ballet du troisième acte de Guillaume Tell. La présence de Rossini se comprend aisément si l'on sait que le chef, Michele Mariotti, est né à Pesaro en 1980, ville natale du compositeur, l'année même de la création du Rossini Opera Festival et qu'il est le fils d'un des fondateurs de cette manifestation. Un enfant de la balle, en somme, tombé dedans tout petit, et désormais un des meilleurs chefs lyriques de sa génération et un spécialiste du répertoire rossinien. Sa direction sans esbroufe ménage un parfait équilibre entre les exigences dramatiques et le chant. Dynamique, raffinée, merveilleusement expressive, elle exalte la beauté des timbres d'un orchestre de fosse à la sonorité pleine et sensuelle et décolle pleinement dans les deux suites de ballet, celle de Macbeth et surtout celle de Guillaume Tell.
Du côté vocal, la rencontre, c'est celle de la soprano uruguayenne Maria José Siri, qui faisait ses débuts parisiens. La chanteuse est une des rares représentantes de la lignée des grands lirico spinto, ces voix pour lesquelles ont été écrits les Verdi de la maturité : La force du destin, Aïda, le Bal masqué qu'elle interprète ici. Sa voix longue et ductile est d'une puissance impressionnante, mais elle sait aussi se faire douce dans les nuances piano et pianissimo que réclament la prière et la supplication. On l'imagine aisément sur les grandes scènes internationales qu'elle fréquente déjà, comme le Met ou les Arènes de Vérone et l'on attend que l'opéra de Paris l'invite à son tour dans une production à sa mesure, car sa voix « énorme » exige les dimensions d'une grande salle.
Les retrouvailles, ce sont celles de Gregory Kunde avec le public parisien qui ne l'avait pas entendu depuis un concert du Regio de Turin ici même en 2011, l'année qui a marqué un tournant dans sa déjà longue carrière. Après avoir été ténor « léger » jusque dans les années 90, puis ténor lyrique et « baryténor » chez Rossini, le chanteur a désormais investi le répertoire spinto et dramatique verdien et vériste. À 64 ans sonnés, il lui faut un peu de temps pour se chauffer et le premier duo — « Teco io sto » du Bal masqué — le trouve démuni dans les graves. Il faut attendre celui d'Aïda pour qu'il donne toute la mesure de sa voix centrale au riche médium, aux aigus de bronze, qui s'épanouit pleinement dans le duo du premier acte de la Force du destin. Son sens de la ligne magnifique, sa diction exemplaire, l'expressivité et la variété de ses nuances, tout cela s'affirme au fil du concert et lui permet de convaincre pleinement dans la reprise du premier duo en guise de bis. Si sa partenaire impressionne et suscite l'admiration par ses qualités vocales, le ténor lui captive par ses qualités d'interprète et, au-delà même de ses éventuelles limites, suscite une étonnante exaltation qu'il faut bien appeler de l'enthousiasme (au sens propre du terme, ce quelque chose de divin qui entre en vous et vous transcende) et qui est la marque des très, très grands musiciens.
Frédéric Norac
23 juin 2018
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