Jonas Kaufmann et Elina Garanca dans Don Carlos. Photographie © Agathe Poupeney.
C'est un Carlos suicidaire et névrosé, revivant en flash-back les étapes de sa déchéance qu'a choisi de montrer Krzysztof Warlikowski dans cette production de Don Carlos de Verdi dans l'original français de 1867. Une vision qui convient idéalement au tempérament de Jonas Kaufmann, à son ténor barytonnant et sombre, et qui nous rappelle son Werther et son Lohengrin mais ne peut nous faire oublier une voix désormais excessivement élargie, aux registres dissociés, aux aigus puissants certes, mais donnés à l'arrache, avec une tendance à forcer qui lui vaut du reste un petit accident au troisième acte. On reconnaîtra qu'il est pratiquement le seul sur le plateau à chanter un français intégralement compréhensible, avec bien sûr le Posa exemplaire de Ludovic Tézier dont la scène de mort est le seul moment réellement émouvant de cette production peu convaincante.
La faute à une mise en scène minimaliste, trop intellectuelle, complaisante aux trucs de son auteur (références au cinéma, transposition moderne dans un univers qui rend l'action triviale par son changement de contexte) et surtout dont l'intimisme parait bien peu adapté au volume de la salle de Bastille. Le metteur en scène semble se citer lui-même, n'arrivant pas vraiment à faire vivre un des opéras les plus captivants de la maturité verdienne autrement que dans des clichés, comme ce prologue du troisième acte tout droit sorti de celle du couronnement du Ludwig de Visconti ou cet autodafé figuré par un écran en flammes ou apparaît un Saturne de film muet dévorant ses enfants pour citer deux moments plutôt réussis. Mais que vient faire ce gymnase et ses escrimeuses pour le gynécée royal ou cette salle de cinéma privée très Bloc de l'Est années 60 en lieu et place du cabinet du Roi pour le fameux « Elle ne m'aime pas » et le duo avec le Grand Inquisiteur ?
La faute aussi sans doute au choix de la version française plus bavarde, moins efficace dramatiquement que l'adaptation italienne en quatre actes. Elle exigerait sans doute un peu plus de subtilité chez les interprètes car, si en matière de grandes voix, on est certes comblé, notamment par l'Eboli superlative d'Elina Garanca dont les talents belcantistes font briller la chanson du voile et le fameux « Don fatal », tout cela reste très extérieur et l'émotion est rarement au rendez-vous. N'en déplaise à Sonia Yoncheva, Élisabeth de Valois n'est pas le spinto d'Aida mais un personnage dont il faudrait exprimer tant soit peu la fragilité et la résignation. Non Philippe II n'a rien à voir avec Boris Godounov comme semble le penser Ildar Abdrazakov, et jouer les ogres est une manière bien sommaire de concevoir l'autorité royale. Le cast international de vedettes plus brillantes les unes que les autres aurait bien eu besoin d'un coach linguistique et peut-être aussi des conseils d'un spécialiste du style lyrique français. Soulignons bien sûr la qualité de la direction de Philippe Jordan qui met en valeur toutes les beautés d'une des partitions les plus magnifiquement orchestrées de Verdi. Une mention aussi pour l'excellence des chœurs et des seconds rôles : l'Inquisiteur de Dimitry Belosselskly, Le Moine de Krzysztof Baczyk et l'excellent Comte de Lerma de Julien Dran, un des beaux espoirs de la jeune génération des chanteurs français.
C'est la deuxième fois depuis la création de ce drame historique inspiré de Schiller que l'Opéra de Paris tente un Don Carlos en français, la première en 1986 (avec le fameux ballet de la Perle omis ici) n'a guère laissé de traces. Il y a peu de chances pour que celle-ci, à la fois trop compliquée et d'une grande vacuité théâtrale, ne s'impose au répertoire, à moins peut-être de la réviser et de l'adapter à la version définitive de 1884. Pour la version française on retournera à la production de Luc Bondy au Châtelet en 1996 avec Roberto Alagna, Thomas Hampson et José Van Dam dont fort heureusement le DVD a conservé le souvenir.
Spectacle visible en replay sur Arte Concert
Deuxième série de représentation du 31 octobre au 11 novembre avec une autre distribution.
Frédéric Norac
29 octobre 2017
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Mercredi 18 Septembre, 2024