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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte : La musique instrumentale de Wolfgang Amadeus Mozart

Les trios avec piano de Wolfgang Amadeus Mozart

Mozart

Pour cordes seules, Avec piano, Œuvres diverses.

Outre un trio avec clarinette auquel nous accorderons une attention particulière, le catalogue de chambre de Mozart ne compte que sept trios pour piano, violon et violoncelle. C'est peu au regard de la production du pionnier que fut Haydn en ce domaine, et cela accrédite un peu plus l'idée commune selon laquelle ce serait un volet très secondaire dans la production mozartienne. Pourtant ces trios recèlent eux aussi leur lot de merveilles. « Écrits pour des amis, les trios avec piano de Mozart diffèrent de ses œuvres dites sérieuses, quatuors ou quintettes à cordes, mais aussi des deux quatuors avec piano, plus proches du concerto. Par rapport aux trios de Haydn, produits du style le plus mûr de leur auteur mais privilégiant le clavier, Mozart accorde au violon une plus grande part dans la conduite mélodique, et surtout plus d'indépendance au violoncelle — indépendance relative dans la mesure où elle n'est acquise qu'au prix de vastes zones de silence. Toute sa musique de chambre pour piano et cordes, et particulièrement celle de ses trios, est exceptionnelle par sa sonorité et fournit par la fusion des timbres une preuve que son oreille était la seule vraiment omnisciente que l'on ait pu connaître. »82

Trios nos 1, 2 et 3, K 254, 442, 496

Il faut d'emblée faire un sort particulier au trio no 2 en mineur K 442, qui a été constitué en assemblant trois morceaux laissés par Mozart à l'état de fragments, l'abbé Stadler se chargeant une fois de plus de les compléter. C'est tout de même assez largement du Mozart, et même du Mozart de haute maturité (probablement des années 1786 à 1790). En soi, cela devrait suffire à épargner l'oubli à ces Triosätze, mais, de plus, ceux-ci ont de quoi toucher le cœur des mozartiens fervents : dans sa tonalité de mineur, le premier mouvement véhicule un sentiment oppressant confinant au tragique, et le menuet lent qui lui succède est un petit chef-d'œuvre de mélancolie voilée.

Des sentiments qui n'encombrent pas le trio no 1 en si♭majeur K 254 , œuvre d'essence galante, composée à Salzbourg par un Mozart de vingt ans, au milieu d'une vague de sérénades et de divertimenti. Ce trio, qui porte d'ailleurs le titre de Divertimento malgré sa structure en trois mouvements, est proche de la sérénade par l'esprit. Ses deux mouvements vifs enchantent par leur fraîcheur et leur invention mélodique, mais c'est le mouvement lent médian, un adagio en mi♭merveilleusement expressif et poétique, qui laisse le plus vif souvenir. On en oublierait presque que ce trio n'est encore qu'une sonate pour violon et piano où le violoncelle n'intervient que ça et là, très discrètement, pour souligner la basse du piano.

Wolfgang Amadeus Mozart, Trio en si♭majeur, K 254, II. Adagio, par le Beaux Arts Trio.

Changement d'époque et de style,avec le trio no 3 en sol majeur K 496 : nous voici en juillet 1786, dix ans se sont donc écoulés, et désormais le violoncelle a droit de cité. D'une belle vigueur dramatique dans son premier mouvement, l'œuvre devient étrangement répétitive et lancinante dans l'andante central où Mozart, outre un jeu admirable sur l'harmonie, déploie une grande habileté contrapuntique en exploitant d'un bout à l'autre un même motif. Ce trio se conclut par un vaste allegretto, un thème varié avec cinq variations dont deux pures merveilles auxquelles le violoncelle apporte toute sa part d'émotion et de poésie : la quatrième (minore), qui plonge dans des abîmes de désolation, et la cinquième (adagio), qui apporte une forme de soulagement.

Trios nos 4, K 502 et 5, K 542

Bien qu'ils soient espacés dans le temps — le K 502 en si♭majeur date de novembre 1786, le K 542 en mi majeur de juin 1788 –, il est naturel de réunir ces deux trios qui sont sans doute les plus belles réalisations de Mozart dans ce domaine. On y trouve une fabuleuse perfection de la forme et du style, ainsi qu'une ineffable poésie qui, bien sûr, irradie particulièrement les mouvements lents. Le piano apporte à ces œuvres une luminosité toute spéciale, qui n'est pas sans rappeler celle des grands concertos mozartiens, et s'il tend à garder une certaine primauté dans le discours, les deux archets — y compris désormais le violoncelle — y participent sur un pied d'égalité. Légère, mozartienne à souhait, cette petite formation à trois nous donne à entendre là de merveilleux moments d'intimité musicale.

Tout serait à citer de ces trios qui respirent la sérénité, voire un bonheur sans nuages, mais, une fois de plus, on ne peut s'empêcher de mettre l'accent sur les mouvements lents : dans ses douces effusions, le larghetto, en mi♭ majeur, du K 502, dégage une poésie incomparable et est à marquer d'une pierre blanche à l'intention de ceux qui chérissent plus que tout les moments de pure intimité mozartienne. Quant au K 542, que Chopin affectionnait tout spécialement, il réalise d'un bout à l'autre une alliance miraculeuse de science (discrète) et de poésie (subtile), mais là aussi on ne peut qu'être ému par la touchante simplicité et la délicate mélancolie de son andante grazioso, auquel succède un finale tout de légèreté intimiste et de fraîcheur poétique. Du grand art, vraiment !

Wolfgang Amadeus Mozart, Trio en si♭ majeur, K 502,,II. Larghetto, par le Beaux Arts Trio.
Wolfgang Amadeus Mozart, Trio en mi majeur, K 542, par The Mozartean Players.

Trios no 6, K 548 et no 7, K 564

Respectivement de juillet et octobre 1788, ils suivent de près le lumineux et splendide K 542 en mi majeur mais ne suscitent pas tout à fait le même enthousiasme.

S'agissant du K 548 en ut majeur, qui enchaîne un allegro énergique et brillamment développé, un andante cantabile déployant une ample cantilène aux belles ramifications, puis un rondo final alerte, piquant et débordant de vitalité, le métier ne fait pas défaut, bien au contraire. Peut-être même est-il trop présent dans le premier mouvement, si sérieux qu'il donne l'impression de manquer de cette merveilleuse spontanéité qui rend si attachants les K 502 et K 542. De même, le cantabile nostalgique de l'andante, aussi beau soit-il, conserve quelque chose d'extérieur, assez loin en tout cas de l'intense poésie intimiste qui faisait le prix du Larghetto de K 502.

Wolfgang Amadeus Mozart, Trio en ut majeur, K 548, I. Allegro, par le Beaux Arts Trio.
Quant au « petit » K 564 en sol majeur, dont on dit qu'il était initialement conçu comme une nouvelle sonate pour piano du type « facile », on a vite fait de le réduire au rang d'« oeuvrette » marquant un retour à l'enfance de la part du compositeur. Il est vrai qu'il est tout de grâce mélodique et de douce innocence, mais, au-delà de la perfection de la forme, tout mozartien fervent y reconnaîtra la merveilleuse limpidité et l'incomparable transparence du dernier Mozart. « Jamais encore comme ici le matériau ne s'était fait aussi ténu, aussi transparent pour laisser irradier la lumière intérieure. Ce qui donne le change aux esprits superficiels, c'est l'apparente pauvreté du matériau sonore. Mais ceux qui savent faire en eux le silence sont remplis de ravissement. »83

Trio « Kegelstatt » avec clarinette et alto, K 498

Une petite perle que ce trrio en mi♭majeur K 498 dit « Trio des Quilles », œuvre sans autre prétention apparente que celle de se faire plaisir entre amis, au cours d'une soirée de l'été 1786 passée dans la chaleureuse compagnie des Jacquin, une famille qui, à côté de Puchberg, fut pour Mozart d'un grand réconfort dans ses périodes de détresse. Si l'on en croit la légende, ce trio fut écrit au cours d'une partie de quilles dans le jardin des Jacquin et aurait été joué séance tenante avec au piano Franziska, la jeune-fille de la maison, et à la clarinette Anton Stadler, grand virtuose de l'instrument, Mozart jouant la partie d'alto. L'œuvre a été « conçue loin de toute contrainte, dans la plus complète liberté. Toute imprégnée de tendresse, de poésie bucolique, elle renonce à l'éclat de la virtuosité, aux tempos contrastés, dans ses trois mouvements si proches l'un de l'autre, aussi proches que le sont les trois instruments qui évoluent dans une tessiture centrale. »84 Ce trio « a la douceur ombragée d'une chaude après-midi d'été, où l'on se délasse en buvant un Tokay bien frappé. »85 Pour autant, et malgré ses vertus proprement mélodiques, il s'élève bien au-dessus d'un simple divertissement de plein air : hautement inspiré, d'une structure parfaitement intégrée, il met en œuvre tout un jeu subtil, allant jusqu'à l'humour, de complicités et de contrastes entre deux instruments (clarinette et alto) qui forment a priori un curieux alliage de timbres. Et « il y a plus : la cordialité qui règne ici a des racines plus profondes que celle de bons amis qui se retrouvent : cette amitié est celle qui unit trois frères maçons, d'où la tenue de cette musique où il n'y a pas de trace de familiarité et où affleure même, par moments, une certaine gravité. »86

Wolfgang Amadeus Mozart, Trio en mi♭ bémol majeur, K 498, I. Andante, par Michel Portal, Bruno Pasquier et Jean-Claude Pennetier.

Notes

82. Szersnovicz Patrick, dans « Le Monde de la musique » (235), septembre 1999.

83. Hocquard Jean-Victor, Mozart, de l'ombre à la lumière. Jean-Claude Lattès, Paris 1993, p.152.

84. Ménétrier Jean-Alexandre, dans Tranchefort François-René (dir.), « Guide de la Musique de chambre », Fayard, Paris 1998, p. 630.

85. Hocquard Jean-Victor, op. cit., p. 144.

86. Ibid., p. 144.


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