Mikhaïl Rudy, Chopin : sonates, Préludes, Nocturnes. CD + DVD, Calioppe 2017 (CAL 1637).
Mikhaïl Rudy et né en Ukraine, un mois après la mort de Staline, Sviatoslav Richter est alors âgé de 38 ans. Il a bénéficié de l'efficacité de l'enseignement musical soviétique, à une époque où l'école russe de piano dominait le monde. Il remporte le grand Prix du concours Marguerite Long-Jacques Thibaud à Paris en 1975, s'installe en France en 1976 et développe une fructueuse carrière internationale.Sa discographie comporte une cinquantaine d'albums, notamment chez EMI, au répertoire varié sans être éclectique, consacré à Brahms, aux compositeurs russes, un peu aux Français, Ravel, Saint-Saëns, Frank, et seule aventure contemporaine, Messiaen (trois des Vingt Regards sur l'Enfant-Jésus), on note deux enregistrements consacrés à Leoš Janáček, et un à la si belle musique pour piano de Karol Szymanowski, et un seul album Chopin (2e sonate, nocturnes no 8, opus 27, no 13, opus 48, 24 préludes, opus 28).
On y retrouve des orchestres tel le Philharmonique de Berlin, celui de Londres, souvent le celui de Saint-Pétersbourg, l'orchestre du Capitole de Toulouse, avec des partenaires tels que Pierre Amoyal ou Michel Portal.
Voici donc un second album Chopin, avec la reprise de l'enregistrement de 2005 à l'Opéra Bastille (EMI 3438312), et en prime dévédé un récital donné au bel Hôtel Pozzo di Borgo, un mois avant son rachat romanesque par le Gabon, dans le même répertoire. En surprime, un film d'Andy Sommer, le roman d'un artiste de 2008, en relation avec la sortie d'un livre autobiographique au titre éponyme, aux éditions du Rocher.
Mikhaïl Rudy, Frédéric Chopin, préludes nos-15-19, extrait du film d'Andy Sommer (2008).Les choses deviennent ici un peu plus désagréables. En effet, le roman qu'on veut bâtir autour du pianiste, prend le pas sur la musique et semble un peu factice, un peu fonds de commerce. On a du mal à croire, parce qu'on en fait un peu trop et que cela manque de faits précis, que le pianiste fut victime de persécution politique. Que ce soit dans le livret, le film (au demeurant sympathique), la page Wikipédia à l'évidence faite maison, ou les divers entretiens disponibles. Et on se demande ce que cela peut bien apporter à l'artiste, alors qu'aujourd'hui son pays est toujours sous un joug intolérant, la mafia et la misère en plus.
On comprend qu'un Rostropovitch a pris un double risque en protégeant et en se liant à Alexandre Soljenitsyne. Avec les autorités soviétiques, qui le déchoira de sa nationalité en 1978, mais d'un autre côté en assumant le fait que le romancier est un homme d'extrême droit soutenant le régime de Pinochet. Et si on aime se souvenir de lui, jouant devant le mur éventré de Berlin, volant quand même un peu symboliquement la vedette aux Allemands de l'Est, on aime moins mettre en avant son soutien à Vladimir Poutine.
Il ressort de cela qu'il y a des difficultés à mettre en relation l'effervescence musicale, l'activité florissante des salles de concert, la richesse de la vie artistique qu'il peut décrire avec joie, et l'oppression, où on ne sent pas les contradictions de la vie quotidienne réelle.
Il y a même, ici et là, dans les entretiens des outrances. Le pianiste veut prouver l'antisémitisme étatique (de nombreux dirigeants communistes étaient juifs), par le fait que les cartes d'identité pouvaient mentionner « juif », alors que cela était à la demande des juifs désireux d'affirmer leur identité et qui avaient reçu un État. Ce n'est certes pas la bonne idée, de confondre religion et nationalité, mais cela n'était pas démoniaque. Dans beaucoup de pays, la religion est inscrite à l'état civil, comme en Allemagne.*
Mais il a plus incertain. Quand il parle de son amour pour la littérature française, il évoque Proust, dont seuls les quatre premiers volumes de À la recherche du temps perdu aurait été traduits à cause de l'exécution du traducteur. Or, dès 1927, alors que l'ensemble de l'œuvre de Marcel Proust n'est pas encore publiée en France, ils commencent à paraître en russe. Il ne s'agit pas d'un traducteur, mais de quatre : Adrian Frankowski (1888-1942) mort de faim pendant le siège de Leningrad, Valentin Parnakh (1891-1951) qui émigre puis rentre en URSS en 1931, Andrei Fedorov (1906-1997), je n'ai pas trouvé la trace de la ou du quatrième, N. Sarina, un russophone le pourra certainenement. La question reste : pourquoi en effet a-t-il fallu attendre pour les autres volumes ? On peut penser à l'homosexualité de l'écrivain ?
Je pense qu'après l'effondrement de l'empire soviétique, l'ouverture des frontières et des archives, on devrait commencer à sortir de la guerre froide et de la lutte entre angélisme et diabolisation, pour la politique et l'histoire, et ne plus dire ce qu'on veut entendre, mais ce qu'on devrait comprendre.
Il est dommage que ce roman de l'artiste un peu ringard prenne inutilement tant de place, sans rien apporter ni à la musique, ni à la compréhension du monde, ni à la connaissance du personnage, certainement plus déchiré par le départ du père que par le socialisme de caserne qu'il a connu les 22 premières années de sa vie, et où il est devenu un brillant pianiste.
Maïa Plissetskaïa, danseuse légendaire, morte il y a deux ans, dans une certaine indifférence des médias français, elle n'était pas dissidente, écrit dns un livre publié en 1995, Moi Maïa Plissetskaïa :
Je suis née à Moscou. Au royaume de Staline. Puis j'ai vécu sous Kroutchev, Brejnev, Andropov, Tchernenko, Gorbatchev, Eltsine... Et j'aurai beau faire, jamais je ne renaîtrai une seconde fois. Vivons notre vie... Et je l'ai vécue. Je n'oublie pas ceux qui ont été bons pour moi. Ni ceux qui sont morts, broyés par l'absurde. J'ai vécu pour la danse. Je n'ai jamais rien su faire d'autre. Merci à cette nature grâce à laquelle j'ai tenu bon, je ne me suis pas laissé briser, je n'ai pas capitulé.
Et elle ne s'est pas exilée, comme bien d'autres grands artistes russes.
Comment se fait-il que dès qu'on parle d'artistes soviétiques ce soit comme un prétexte, voire une obligation, pour parler de Staline ou du régime politique, qu'on en oublie l'art et l'artiste qu'il faut obligatoirement transformer en victime, même quand il est adulé par l'État comme ce fut le cas pour Chostakovitch ? Par contre il semble dans l'ordre des choses qu'il y ait des critiques dans le monde entier, que des compositeurs se fassent descendre par la critiques ou les cabbales (Edgar Varèse), voire censurés par le gouvernement, comme le fut Armand Gatti par le ministre André Malraux, pour ne pas déplaire au dictateur espagnol Franco. Au contraire quand on parle du 17e siècle, tout est génial à Versailles, alors que les musiciens sont totalement assujettis aux maîtres, et font partie de leur suite, comme les meubles, chiens et chevaux.
Il faut revenir à raison et compréhension.
Jean-Marc Warszawski
18 avril 2017
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Lundi 16 Septembre, 2024