La Flûte enchantée, Komische Oper Berlin. Photographie © Iko-Freese.
La Flûte enchantée que présente l'Opéra Comique nous vient de Berlin, ville-reine et capitale dans les années 1920, du cabaret, de l'expressionnisme, du Kammerspiel, du cinéma muet et du cinéma d'animation, et elle emprunte à tous ces modes d'expression dans un joyeux tohu-bohu visuel sans cesse renouvelé dont l'éclectisme fait penser à l'univers d'un Tim Burton.
On reconnait dans Pamina un lointain souvenir de la Loulou de Pabst ; Papageno est une sorte de Buster Keaton qui voit des éléphants roses dans des verres à cocktail et que suit pas à pas un joli chat noir qui se veut lui aussi oiseleur ; Sarastro et le chœur masculin avec leurs hauts-de-forme cheminée de croque-morts rappellent le Docteur Caligari ; avec ses chiens noirs Monostatos est tout à la fois le gardien de l'Enfer et le sosie de Nosferatu ; la Reine de la Nuit une femme araignée géante. Si les acteurs sur le plateau ne font que mimer le mouvement, ce sont les projections animées qui les font bouger dans un procédé illusionniste où sans arrêt se retraduit visuellement tout ce qu'évoque le texte en restant toujours en phase avec la musique de Mozart. On passe d'une esthétique à l'autre, du noir et blanc à la couleur, de la bande dessinée à la peinture, sans solution de continuité, grâce à quelques motifs récurrents, le chat noir facétieux de Papageno, la petite libellule anthropomorphe qui représente l'âme de la flûte et de la musique, les envols de papillons, les floraisons heureuses mais aussi des images plus noires comme venues d'un lointain cauchemar. Les dialogues sont traités comme des cartons de cinéma muet dont le pianoforte vient souligner la silencieuse exclamation, offrant ainsi quelques respirations dans un tissu visuel et sonore dense. Tout cela fonctionne à merveille et enchante comme un livre d'images animé pour « petits et grands enfants de 8 à 80 ans » comme le définit Barrie Kosky, co-concepteur du spectacle avec le collectif 1927 (Suzanne Andrade et Paul Barritt) et directeur du Komische Oper où il a été créé en 2012. Il n'y a pas de thèse à la clef, simplement le plaisir de se laisser porter par la fantaisie des images.
La Flûte enchantée, Komische Oper Berlin. Photographie © Iko-Freese.
Heureux les Berlinois qui possèdent un théâtre de répertoire comme le Komische Oper où la créativité s'exprime avec tant de bonheur et de liberté. Certes, il s'agit d'un travail de troupe et la distribution, globalement plutôt jeune, accuse quelques faiblesses. Le Tamino assez pâle et peu projeté d'Adrian Strooper en est certainement l'élément le plus problématique, mais le trio des Dames laisse également craindre, dans un premier temps, d'avoir affaire à un spectacle de sortie de conservatoire. L'ensemble au bout d'un petit temps de mise en route s'échauffe et au final fonctionne plutôt bien. La Pamina de Kim-Lilian Strebel (remplaçant une collègue initialement prévue) après quelques sons droits dans son premier air s'affirme au fil de la soirée de même que le Papageno de Richard Sveda ou la Reine de la Nuit très prometteuse d'Olga Pudova. Inégal le Sarastro d'Andreas Bauer à qui la tessiture de l'Orateur (légèrement amplifié) semble mieux convenir. Excellent le Monostatos à la voix presque barytonnante d'Ivan Tursic et impeccable (malgré un petit décalage dû au dispositif scénique) les trois Knaben des Petits Chanteurs de Tolz toujours parfaitement justes. Après une ouverture sur les chapeaux de roue, la direction de Kevin John Edusei s'assagit et se coule dans le rythme d'un spectacle sans temps mort mais sans hâte excessive non plus. La plus belle prestation de la soirée vient incontestablement du Choeur Arnold Schönberg dont le fameux « Isis und Osiris » nous fait un instant respirer dans les hauteurs inspirées de l'humanisme maçonnique du xviiie siècle.
Prochaines représentations les 9, 11, 12, 13, et 14 novembre avec deux distributions en alternance.
Cet article fait référence à la seconde distribution.
Frédéric Norac
7 novembre 2017
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Lundi 16 Septembre, 2024