Chimène ou le Cid, Artavazd Sargsyan, Agnieszka Sławińska, Julien Chauvin, Le concert de la Loge. Photographie © Anne-Sophie Soudoplatoff.
Il ne manque rien à Agnieszka Sławińska pour incarner avec crédibilité cette Chimène, inspirée de celle de Corneille et adaptée par François Nicolas Gaillard au style hybride de Sacchini, à mi-chemin entre l'héritage du Gluck français et de l'opéra séria finissant. Ni la beauté d'un soprano lyrique central et souple, ni l'expressivité et la grâce d'une silhouette juvénile qui en fait la petite sœur d'Iphigénie et la cousine de l'Ilia mozartienne. Mais, dans une partition qui malgré ses origines italiennes — le compositeur y recyclait une de ses créations londoniennes — se qualifie elle-même de tragédie lyrique, on attendrait à juste titre un élément majeur qui, à n'en pas douter hisserait sa performance à un niveau supérieur et renforcerait la pertinence d'une incarnation déjà très aboutie. C'est l'intelligibilité du texte.
De fait, dans une distribution très homogène et parfaitement idiomatique, elle est la seule à imposer à l'auditeur le recours à la lecture des surtitres, ce qui sans soute se conçoit dans les airs et les ensembles mais devient problématique dans les récitatifs. On fera le même reproche au roi d'Enrique Sanchez-Ramos qui n'a pas à son actif la même musicalité pour sauver sa performance assez terne. On regrette d'autant plus ces quelques limites que le reste du plateau se révèle impeccable, du Cid bien projeté, à la phrase modelée avec précision et élégance d'Artavazd Sargsyan, dans un registre assez central qui rappelle les hautes-contre à la française, à la basse noble et chaleureuse du Don Diègue de Matthieu Lecroart. Le jeune Jérôme Boutilier, un baryton dont la voix sombre superbement timbrée semble déjà parfaitement mature et plus que prometteuse, se distingue singulièrement dans son air unique — le récit du combat avec les Maures (l'équivalent du « Nous partîmes cinq cents du Cid de Corneille »). Excellent également le chœur du Centre de musique baroque de Versailles préparé par Olivier Schneebeli et ses coryphées. Au-dessus de tout éloge enfin, le Concert de la Loge dirigé de main de maître par Julien Chauvin qui révèle toute la richesse instrumentale d'une partition étonnante et dont l'inventivité surtout dans les passages orchestraux comme ces danses du deuxième acte et ces marches dont le style évoque, à s'y méprendre le Mozart d'Idoménée.
Pour servir cette résurrection de premier plan, portée par l'ARCAL, Sandrine Anglade a choisi la sobriété. Le dispositif scénique de Mathias Baudry bien adapté aux exigences d'un spectacle itinérant, met l'orchestre sur le plateau avec au centre le chef dans une fosse. L'action se déploie sur des praticables et les éclairages apportent la profondeur de champ et modèlent l'espace. Quelques accessoires et éléments de costume, une cuirasse, une épée qui passe de mains en mains, le manteau rouge du roi rappellent la dimension héroïque de la tragédie d'origine tandis que pendant l'ouverture un ballet d'avocats perruqués portant leurs dossiers sous le bras, suggère que la pièce qui va commencer est au fond un éternel procès, celui qui oppose le devoir à l'amour. Gérés avec finesse, les passages chorégraphiques se transforment en une amusante pantomime, de même que l'intermède de la bataille, illustré par un enchainement de tableaux figés successifs. L'ensemble est d'une belle efficacité et réussit à imposer en 1h40 sans entracte, un opéra plutôt dense où le compositeur a su intégrer dans une composition originale des éléments éclectiques issus des principaux langages lyriques européens de la fin du XVIIIe siècle avec un sens dramaturgique qui semble regarder par moment vers le Romantisme.
Frédéric Norac
25 mars 2017
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