Lohengrin, Opéra-Bastille, janvier 2017 Lohengrin (Jonas Kaufmann) et (Martina Serafin). Photographie © E. Bauer, Opéra national de Paris.
Salle comble et ambiance des grands soirs à l'Opéra Bastille hier pour le retour sur scène après de longs mois d'absence, dus à un hématome sur les cordes vocales, de Jonas Kaufmann. Tout le gratin de la upper-class musicale parisienne sur les dents pour répondre à la question fatidique : le ténor des ténors a-t-il retrouvé sa voix, toute sa voix, rien que sa voix ? Difficile à affirmer en vérité et seule la suite nous le dira1.
En apparence oui mais il semble aussi avoir gagné en prudence. Après une entrée royale où la voix superbement timbrée, projetée avec aisance et fermeté rayonne dans le grand vaisseau de la Bastille, le chanteur semble s'économiser un peu et ne redonnera toute la mesure de son instrument que dans sa scène d'adieu au dernier acte. Peut-être a-t-il décidé d'alléger son émission, de moins abuser du « sombrage » (cause supposée avec le surmenage de ses problèmes)... En tous cas on admire sans réserve la beauté, l'intensité du phrasé, la subtilité des pianissimi à l'entrée de « Mein lieber Schwann ». L'acteur aussi est remarquable dans cette mise en scène qui fait de lui un être double, le chevalier du Graal investi de sa mission et un être humain pétri de fragilité et de doutes que l'on voit se réfugier souvent auprès de ce piano omniprésent qui est là pour répondre à l'affirmation de Wagner, selon qui « Lohengrin incarne la fragilité de l'artiste ».
C'est bien sûr cette lecture pleine d'allusions, loin de l'univers légendaire d'origine, qui aura énervé le public parisien. La salle accueille au final avec force huées le metteur en scène Claus Guth et son approche peut-être un peu trop intellectuelle où le palais des Ducs de Brabant ressemble à une cour de collège ou à une caserne, où les armures ont laissé la place à des uniformes qui sentent l'Allemagne fin xixe, et la chambre nuptiale à un site lacustre où les époux prennent sagement un bain de pied tandis que la catastrophe approche... Du cygne, il ne reste que quelques plumes qui volettent ça et là, et l'image d'un jeune garçon qui se promène avec une aile unique dans les coursives... Mais même un peu abscons, tout cela reste toujours très beau et poétique. Surtout la direction d'acteurs affutée crée de véritables personnages et leur donne une épaisseur psychologique.
A l'applaudimètre, après le triomphe du rôle-titre radieux au second rappel, c'est l'Ortrud d'Evelyn Herlitzius, impressionnante de hargne et de véhémence qui lui font parfois perdre le contrôle de l'émission, qui se taille la part du lion. Par comparaison, la grande voix de Martina Serafin parait un peu contrainte et gênée aux entournures (aiguës) de la tessiture lyrique d'Elsa. De bonne tenue, le Telramund de Tomasz Konieczny avec son baryton assez clair. Splendide le Héraut du Roi d'Egils Silins. Seul René Pape parait un peu fatigué dans son premier monologue et ne retrouve quelques couleurs qu'au fil de la soirée.
Triomphe également pour la direction ample et vibrante de Philippe Jordan à la tête d'un orchestre et de chœurs de haut niveau, qu'un hurluberlu comme il ne s'en trouve sûrement qu'à Paris, se permet de huer à son retour après le premier entr'acte — tout seul au milieu de 2500 personnes, ce qui serait comique si ce n'était aussi lamentable. Le lyricomane parisien a toujours été un peu pédant et un peu sourd...
1. Quatre représentations avec lui jusqu'au 30 janvier puis le ténor laissera la place à l'Australien Stuart Skelton qui mènera une distribution renouvelée pour les représentations de février.
Frédéric Norac
18 janvier 2017
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