musicologie
Opéra-Comique, 27 septembre 2017, par Frédéric Norac ——

Enterrement de première classe : Miranda d'après Purcell

Miranda. Photographie © Pierre Grosbois.

Que faire de toute cette magnifique musique que Purcell a semée tout au long de ces pièces démodées et devenues impossibles à monter (The Fairy Queen, The Indian Queen, King Arthur, pour citer les plus célèbres), dans lesquelles les dramaturges de son époque recyclaient et dénaturaient les plus belles œuvres de Shakespeare comme Le Songe d'une nuit d'été ou La Tempête ? La metteuse en scène Katie Mitchell et le chef Raphaël Pichon ont eu l'idée, après leur expérience autour des cantates de Bach à Aix-en-Provence en 2014, de les faire revivre à travers une nouvelle trame dramaturgique. Au fond il ne s'agissait rien moins que de réaliser un pasticcio comme en produisit tant la période baroque, auquel ils ont adjoints de nombreuses pièces de ses contemporains Matthew Locke et Thomas Clarke.

Le nouveau livret dû à la plume de la dramaturge Cornelia Lyon imagine une sorte de codicille à La Tempête, un épilogue tragique apocryphe dans lequel Miranda, la fille disparue de Prospero — ou est-ce son fantôme ? — vient régler ses comptes avec son père et son époux Ferdinand pendant ses propres funérailles, les accusant pour le premier de l'avoir violée, le second de l'avoir épousée trop jeune et sans amour.

Le décor de cet acte unique d'une heure trente — une nef de temple anglican de béton brossé au mobilier rectiligne du plus pur chic moderniste — rappelle quelque peu celui de Christian Schmidt pour Le Messie mis en scène par Claus Guth à Vienne et Nancy en 2009. Pour l'ambiance, ce serait plutôt du côté du fameux Festen  de Thomas Vinterberg qu'il faut aller chercher les références. Pour faire vraiment Shakespearien, la vérité sera dévoilée par le biais d'une pantomime — théâtre dans le théâtre — comme on en trouve dans Hamlet ou dans Le Conte d'hiver.

MirandaMiranda. Photographie © Pierre Grosbois.

Disons-le d'emblée, ce détournement nous a semblé d'assez mauvais goût et nous a profondément déplu au plan théâtral. D'abord par la charge malsaine de son prétexte pseudo-féministe, ensuite par sa complaisance dans un sordide téléphoné et finalement par la pauvreté de son propos. Le réalisme de surface de la direction d'acteur ne sauve en rien un propos sans perspective ni profondeur et une action qui tourne en rond pendant une heure trente. À preuve, du reste, cette conclusion interminable où, prise à son propre piège, la dramaturge tente de trouver une porte de sortie qui apporterait un peu d'apaisement après tous ces déchirements hystériques et s'enlise dans une longue scène pétrie de sentimentalisme façon soap où Prospero meurt de façon symbolique dans les bras de sa nouvelle épouse, Anna, sans la moindre cohérence avec le portrait du roi violent et tyrannique qu'on vient de nous dresser pendant toute la pièce.

Fort heureusement, il reste la musique de Purcell et de magnifiques interprètes pour faire passer quelque peu ce bouillon prétentieux et corrompu. L'ensemble Pygmalion sous la direction de Raphaël Pichon exalte les harmonies subtiles et les sonorités délicatement ombrées de l'orchestre de Purcell et réussit à transcender la platitude répétitive d'une « partition » où les déplorations succèdent aux lamentos, sans presque discontinuer. Tous les interprètes méritent mention, à commencer par la Miranda au timbre corsé et à la voix parlée quasi masculine de Kate Lindsey (quelque part entre Didon et la Sorcière du même opéra) et son double soprano à la féminité délicate de Katherine Watson dans le rôle d'Anna. Les messieurs sont également à la hauteur : excellents le Prospero de Henry Waddington et le Ferdinand d'Allan Clayton. Quant au seul non-anglophone natif de la distribution, notre Marc Mauillon national dans le rôle du pasteur de cette cérémonie bien peu orthodoxe, il s'intègre brillamment dans cet aréopage d'élégants spécialistes essentiellement britanniques. Le très touchant « treble » d'Aksel Rykkvin, issu de la nouvelle « maîtrise populaire de l'Opéra-comique », touche par la grâce de son timbre et sa musicalité délicate dans son unique air. Parfait également le chœur où se recrutent quelques seconds plans et qui fait merveille dans les pièces polyphoniques (catches et anthems). Pourtant toute cette beauté musicale ne réussit pas à sauver d'une certaine monotonie un spectacle où finit par lasser le mélange systématique d'un deuil emphatique et d'une hystérie assez complaisante.

MirandaMiranda. Photographie © Pierre Grosbois.

Prochaines représentations les 29 septembre, 1er, 3 et 5 octobre
Spectacle coproduit par l'Opéra de Cologne et le Théâtre de Caen.
Diffusion sur Arte Concert le 29 septembre.

Frédéric Norac
27 septembre 2017
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