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Dijon, Auditorium, 7 janvier 2017, par Eusebius ——

American Classics, avec Sharon Kam et l'Orchestre Dijon-Bourgogne

Sharon Kam en répétition avec l'Orchestre Dijon-Bourgogne. Photographie D.R.

Le programme reprend pour une très large part celui d'un enregistrement homonyme de la grande clarinettiste Sharon Kam1, enrichi de deux classiques de la musique américaine, confiés à l'Orchestre Dijon Bourgogne seul. En guise d'introduction, de Charles Ives, la dernière des Three Outdoor Scenes, achevée dès 1909, « Central Park in the Dark »S. 34. Les cordes dessinent des ombres incertaines d'où s'élèvent des bribes de mélodies, parfois combinées, aux accents jazziques, festifs, jusqu'au paroxysme auquel succède un retour au climat initial. La texture des cordes, riche, insaisissable, comme les échos assourdis des solistes restituent cette atmosphère si particulière, d'un impressionnisme fort différent de l'européen. Ives demeure l'une des figures les plus attachantes et les plus originales de cette musique américaine. Bien qu'un siècle nous en sépare, elle nous est proche par son expression hors de l'académisme, par son atonalité, tempérée de thèmes populaires, par sa polymétrie. Il y avait bien longtemps, déjà, que la musique américaine s'affranchissait du grand art européen.

Seules, les cordes, le piano et la harpe demeurent pour le concerto d'Aaron Copland. Tout comme Ives, il affiche son américanité, conquis par le jazz. Clarté du style et animation font le meilleur ménage dans ce concerto de 1948, commande de Benny Goodman. Le bercement lyrique du premier mouvement et le jeu de Sharon Kam, très retenu, avec de belles sonorités, nous ravissent. La direction de Gergely Madaras, pleinement engagée au côté de la soliste, permet à l'orchestre de trouver les phrasés et les couleurs requises. La cadence transitoire, qui relie les deux mouvements, virtuose à souhait, espiègle, enjouée, permet à notre jazz-women de s'épanouir pleinement. Elle est chez elle, et son bonheur sera communicatif jusqu'au terme du mouvement où l'ivresse endiablée gagne chacun. Les moyens techniques et l'intelligence de l'œuvre sont ici réunis. Le public exulte et acclame longuement les interprètes.

Sharon Kam en répétition avec l'Orchestre Dijon-Bourgogne. Photographie D.R.

L'Adagio de Barber est un  tube2 qui a occulté simultanément une large part de l'œuvre du compositeur, comme — dans un autre genre — le Boléro de Ravel. Écrit en Italie comme mouvement lent de son premier quatuor à cordes (1936), puis réécrit pour grand orchestre à cordes (créé par Toscanini en 1938), le succès a été planétaire.  Le charme, la séduction, la tendresse d'un langage somme toute très conventionnel, classico-romantique ont suffi à en faire une des œuvres les plus jouées, les plus galvaudées aussi. Ici, rien de tel, la lecture est soignée, avec des phrasés toujours justes, au bon tempo.

Les saxes, les cuivres, un batteur, un guitariste, un bassiste supplémentaire s'ajoutent à l'orchestre pour le concerto d'Artie Shaw, qui requiert une grande formation. Lui-même clarinettiste, concurrent de Goodman, animant son propre orchestre de jazz dès 1936, grand séducteur au sens hollywoodien du terme, après de nombreux arrangements destinés à ses formations successives, Artie Shaw écrivit son concerto pour clarinette, avant même celui de Copland, en 1940. Imprégnée de toutes les formes du jazz de son temps, l'œuvre mérite mieux que l'anecdote. Le deuxième mouvement, privé des cordes, relève de la grande formation, comme celles qu'Artie Shaw anima. Au boogie-woogie succède un enchaînement d'accords ponctués lentement par l'orchestre, sur lesquels la soliste déroule son ornementation  aux accents du jazz funéraire de Louisiane, avant qu'une cadence,  accompagnée des seuls toms, avec quelques riffs des vents, éblouissante, jubilatoire, permette à la clarinette de déployer toutes ses qualités, y compris acrobatiques. Les sections reprennent leurs interventions avant les ultimes pirouettes de la soliste dans une acrobatique cadence finale.

Broadway pour conclure, avec quatre standards de Gershwin : Summertime, They all laughed, The man I love, et I got rhythm.  Ce bouquet final souffre un peu dans sa première version d'un orchestre dont les phrasés et la souplesse trahissent une formation classique, mais les bis, dont la reprise de l'incontournable Summertime, corrigeront ce petit travers. Belle performance d'une formation, qui, la veille et le lendemain, joue Gluck en fosse ! L'illusion est presque parfaite d'une grande formation de jazz symphonique3. Merci à l'Orchestre Dijon-Bourgogne pour cette programmation hors du commun, et pour l'invitation faite à cette extraordinaire clarinettiste ! Rarement les acclamations d'un public galvanisé auront été si soutenues et méritées, bel encouragement à continuer de fréquenter ces répertoires.

Eusebius
9 janvier 2017
Plus sur Eusebius.

1. paru en 2002, avec le LSO dirigé par Gregor Bühl, chez Teldec ; la clarinettiste a illustré partout dans le monde un répertoire très éclectique, puisque le « grand » comme le jazz et le contemporain lui sont également familiers. Ses nombreux enregistrements sont d'une égale réussite.

2. Il a supplanté l'adagio « d'Albinoni », supercherie de Giazotto.

3. L'ODB serait-il un lointain descendant du vénérable ODJB ?

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