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Un Tristan suprématiste et intime : Tristan et Isolde de Wagner au TCE

Tristan et Isolde au Théätre des Champs-Élysées. Photographie © Vincent Pontet.

Théâtre des Champs-Élysées, 15 mai 2016, par Frédéric Norac ——

Le Tristan de Pierre Audi n'est pas tout à fait détaché de son arrière-plan légendaire, il l'utilise plutôt comme un support conceptuel et opère une sorte de synthèse entre naturalisme (les costumes) et abstraction (le décor). Son approche se maintient en permanence dans un second degré qui suppose chez le spectateur une bonne connaissance des enjeux du livret. Le bateau du premier acte, figuré par d'imposantes cloisons mobiles, évoque plutôt les tréfonds de la cale que le pont du texte d'origine ; le rendez-vous secret des amants se déroule sur une plage dominée par une étrange carcasse — épave ou squelette de cétacé ; une non moins étrange structure métallique qu'on avait prise d'abord pour un menhir, se dévoilera au paroxysme du duo d'amour ; enfin le château de Kareol où agonise Tristan n'est qu'une malheureuse cabane devant un écran noir réfléchissant, sur une grève parsemée de cailloux. Pour le « Liebestod », l'écran s'élève et dévoile une boîte — théâtre dans le théâtre — où Isolde ayant enfilé une sorte de soutane ecclésiastique (?!) chante son air final comme une pièce de concert. Un grand carré noir sur fond blanc tient lieu de rideau de scène à cette approche visuelle très graphique et évoque quelque peu le suprématisme de Malévitch. Le metteur en scène semble ainsi expliciter son intention : atteindre à l'essence de l'œuvre de Wagner par le biais d'une sorte d'abstraction théâtrale et visuelle. Une fois acceptées toutes ces bizarreries dont les costumes ne sont pas les moindres, il faut reconnaître que la qualité de la direction d'acteurs et la beauté des éclairages de Jean Kalman réussissent à nous introduire dans la magie du chef d'œuvre de Wagner et que la musique triomphe des excès et des éventuels ridicules de ce symbolisme légèrement abscons.

Tristan et Isolde au Théätre des Champs-Élysées. Photographie © Vincent Pontet.

Si le plateau n'est pas exactement celui de tout premier plan dont on pourrait rêver, il faut reconnaître à chacun les qualités qui lui reviennent. Remplaçant Emily Magee, initialement annoncée, Rachel Nicholls manque un peu d'extension dans l'aigu et se révèle assez criarde dans les imprécations d'Isolde au premier acte mais le timbre est chaleureux et corsé et l'interprète expressive. Elle s'impose au fil des scènes et réussit à convaincre pleinement dès le deuxième acte. La Brangäne de Michelle Breedt possède un beau relief, une voix plus claire que sa maîtresse et une musicalité splendide. Torsten Kerl est un Tristan solide et bien armé pour les exigences du rôle, capable de nuances et de demies teintes mais on regrette qu'il n'en fasse pas plus souvent usage. À l'instar du Kurwenal splendidement timbré de Brett Polegato, il a tendance à systématiquement chanter forte ou au maximum de sa puissance, ce que ni la taille de la salle, ni finalement l'orchestration ne réclament vraiment. Passons sur le Roi Marke, à la voix décidément trop légère et à la ligne bousculée de Steven Humes — ses deux interventions à l'acte 2 et surtout à l'acte 3 paraissent interminables et distillent un ennui irrépressible — pour en venir à l'élément essentiel de cette production : la direction de Daniele Gatti.

On pourra contester au chef des tempi parfois excessivement contrastés, très (trop ?) rapides dans les quelques scènes d'action, d'une lenteur presque pesante dans les moments méditatifs comme le prélude du dernier acte où les silences deviennent de véritables pauses et où l'on frise un certain maniérisme. Sa vision quasi chambriste de la partition colle bien au caractère intime de la mise en scène et apporte au spectacle, grâce aux timbres de l'Orchestre national de France en très grande forme, les coloris raffinés qui manquent à la vision scénique tout en noir et blanc et d'une grande justesse de climat.

Prochaine représentation les 21 et 24 mai à 18 heures

Tristan et Isolde au Théätre des Champs-Élysées. Photographie © Vincent Pontet.

Frédéric Norac
15 mai 2016

 

Frédéric Norac : norac@musicologie.org - Les derniers articles : Hymne à la vie : La petite renarde rusée de Janáček à Massy — Bellini à la française : La somnambule au Théâtre des Champs-Élysées — Latin lover, vraie diva et fausse ingénue : Werther de Massenet au Théâtre des Champs-Élysées — Remake lullyste : Persée (version de 1770) — Une Passion selon Saint-Jean de haute spiritualité musicale — Jérôme Correas ressuscite Fedra de Paisiello : entretien — Mitridate, re di ponto de Mozart musicalement revivifiéTous les articles de Frédéric Norac.

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