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Saint-Saëns et Zemlinsky, inégalement servis

Symphonie LyriqueChristian Immler, John Neschling, Hartelius Malin.Photographie © D. R.

Festival Radio France Montpellier Région, 23 juillet 2016, par Eusebius ——

Si ce n'est la source exotique de leur inspiration, tout oppose les deux œuvres inscrites au programme de l'Orchestre National de France, dirigé ce soir par John Neschling. Un quart de siècle sépare le concerto « L'Égyptien » de Saint-Saëns et la Symphonie lyrique de Zemlinsky, mais davantage encore, le style et l'écriture. À l'orchestration colorée et claire, avec les bois par deux, héritée de Liszt, pour le premier s'oppose le caractère gigantesque et massif du second, sorte d'addition de Mahler et de Strauss.

On connait les qualités de Bertrand Chamayou et chacune de ses apparitions permet de mesurer sa maturité grandissante : le temps accomplit son œuvre comme pour les grands crûs. Son piano est d'exception. Il aborde ce célèbre concerto comme si l'encre en était encore fraîche. La progression du premier mouvement est rendue magistralement par le piano. L'orchestre, par contre, appliqué, scolaire, n'est guère réactif ni coloré, les dynamiques sont estompées là où on attend le contraste, l'éclat. La surprise de la puissante introduction de l'andante passée, le piano déroule sa mélopée, avec une technique très lisztéenne. L'orchestre n'est toujours pas plus engagé, la leçon est récitée, sans plus. Quant au finale, au piano jubilatoire, éblouissant, énergique, vigoureux répond un orchestre appliqué, qui fait son travail. Bertrand Chamayou mérite beaucoup mieux. On comprend mal les raisons de cette exécution : services insuffisants, lassitude des musiciens, ou direction sans âme ? Le chef bat la mesure1,  tourne les pages de sa partition dans laquelle il a le nez...  Un bis superbe, plus poétique que jamais, le « Clair de lune s de la Suite bergamasque de Debussy, réjouit les auditeurs enthousiasmés par le pianiste.

Hartelius MalinHartelius Malin. Photographie © D. R.

La Symphonie lyrique de Zemlinsky mobilise toutes les forces du National. Dans la succession directe du Chant de la terre, de Mahler, le compositeur associe sept Lieder sur des poèmes de Tagore2, confiés tout-à-tour au baryton et à la soprano, sorte de dialogue où chacun interpelle l'autre sans jamais le rencontrer3. Christian Immler est dans son élément. Son aisance, son engagement et les qualités qu'il déploie forcent  l'admiration4. « Ich bin friedlos (…) Ich bin ein Fremder im fremden Land (…) Ich bin ruhlos… » [Je suis privé de paix… Je suis un étranger dans un pays étranger… je suis privé de repos…], l'accablement du premier Lied constitue une sorte d'aboutissement du post-romantisme. L'orchestre, grandiloquent à la limite du péplum hollywoodien, n'écrase jamais la voix, et la désespérance nous gagne. Le deuxième, où une jeune fille se pare pour le passage du prince, lui offre les rubis de son collier, qui seront écrasés, laissant une tache rouge, n'est pas moins douloureux. Malin Hartelius trouve les couleurs requises pour traduire à la fois la fraîcheur candide, puis la passion grandissante et l'amère déception. C'est une grande voix, puissante, aux accents dramatiques justes, et à la conduite exemplaire. L'orchestre, bien que massif, s'y montre sous un jour bien meilleur que dans l'œuvre précédente, réactif, d'un lyrisme animé. Chargé d'émotion est le Lied suivant. Plus que jamais on est plongé dans l'expressionnisme post-romantique, qui ne se démentira plus. L'engagement vocal de Christian Immler est incontestable et convaincant. Le sommet de l'ouvrage me paraît être « Spricht zu mir, Geliebter » [dis-moi, mon amour]5, confié à la soprano, la nuit voluptueuse prend des tons ambigus, délicats, contrastant violemment avec le Lied suivant. Emporté est le chant du baryton dans sa révolte. L'orchestre s'y montre, enfin, sous son vrai jour, pleinement engagé. Il le sera jusqu'au terme de l'ouvrage. Sur une pédale des contrebasses, retenu, nocturne est le chant de Malin Hartelius, puis il s'enfle jusqu'au cri, au déchirement, avec de somptueuses et puissantes couleurs rougeoyantes à l'orchestre. L'incertitude du chant du baryton, admirable,  « Friede, mein Herz » [Paix, mon cœur], avec les seules cordes auxquelles s'ajoutent des cuivres résignés, la vie profonde de l'orchestre dans son ample postlude permettent  de terminer sur une note sereine, malgré la noirceur de l'ouvrage.

Symphonie LyriqueJohn Neschling, Christian Immler, Hartelius Malin.Photographie © D. R.

Eusebius
24 juillet 2016

1. ce type de violence devrait être sanctionné, certaines œuvres ne s'en relèvent pas.

2. Le texte des poèmes et leur traduction française figurent au programme, et le surtitrage est bienvenu, malgré les quelques libertés littéraires de la traduction proposée.

3. faut-il y voir une métaphore de la solitude affective du compositeur, et de son pessimisme ?

4. il y a à peine plus d'une semaine, nous l'écoutions ici même dans un tout autre style (Zoroastre, de Rameau), où sa maîtrise était non moins admirable.

5. on notera quelques figuralismes, étranges dans ce contexte. Ainsi, où « Die Nacht ist dunkel » [la nuit est sombre] est illustrée par une tenue sonore du tuba basse.                                                          

 

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Mardi 26 Juillet, 2016 2:09