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Kalîla wa Dimna : un Orphée politique

Kalîla wa Dimna. Photographie © Patrick Berger.

Opéra de Lille, 11 mai 2016, par Frédéric Norac ——

Inspiré d'un recueil de fables animalières d'origine indienne traduites en arabe au viiie siècle par l'Iranien Ibn al-Mustapha, le livret de Kalîla wa Dimna1 retranscrit dans le registre humain la fable « Le lion, le loup, le chacal, le corbeau et le chameau ». Cinq personnages qui deviennent dans l'opéra de Moneim Adwan et de ses librettistes, le poète syrien Fady Jomar et Catherine Verlaguet, le Roi, « sa mère, son ministre Dimna et sa soeur Kalîla et Chatraba le Poète ».

Le propos se veut politique. Dimna, ministre ambitieux rêve de prendre sous sa coupe le Roi, dominé par sa mère. Il introduit auprès du souverain un poète populaire, réputé séditieux, qui contre toute attente gagne l'amitié du souverain en lui faisant découvrir le monde, sa vérité et ses beautés, à travers sa parole, mais suscite la haine de la reine mère et la jalousie du ministre. La fin est facile à imaginer...

Basée sur le système modal des maqâms — gammes de 3 ou 4 notes destinées à exprimer ce que nous pourrions appeler des affects   — la musique de Moneim Adwan intègre également des éléments contrapuntiques, visant à créer une véritable action musicale et non une simple juxtaposition de mélodies. L'œuvre offre quelques « duos » (celui joyeux où le poète chante au roi les beautés du monde est particulièrement réussi) et se termine par un grand ensemble réunissant les cinq solistes. Le style vocal quant à lui reste celui du chant arabe tel que nous pouvons le connaître à travers ses grands noms (Oum Khaltoum, Fairouz) et le résultat évoque à s'y méprendre le cinéma musical égyptien dans ce qu'il a produit de meilleur. Simplement en lieu et place d'un grand orchestre à cordes c'est un quintette — violon, violoncelle, clarinette, qanûn (sorte de cythare) et percussions  — qui est convoqué pour restituer de façon la plus authentique la tonalité orientale.

L'action elle-même est conduite par Kalîla, témoin et narratrice de cette histoire, dont elle nous fait le récit en français et intervient dans l'opéra en arabe, situant  dans un temps épique l'opéra que la mise en scène sobre et efficace d'Olivier Letellier actualise de façon contemporaine à travers les costumes. Le dispositif scénique presque abstrait suggère la structure d'un palais complexe plein de recoins et de cachettes, dominé par le Diwan du Roi, lieu du pouvoir et de la parole.

Des cinq solistes,  Jean Chahid est celui qui nous a le plus captivé, notamment dans son « air d'entrée » où il donne à son personnage sa pleine dimension orphique. Le grain de la voix, la beauté des mélismes et la sensation d'improvisation sont à la hauteur de la figure de Poète qu'il incarne avec la liberté des vrais artistes. Remarquablement caractérisés par des chanteurs aux personnalités affirmées venus de tout le pourtour méditerranéen, tous  les autres personnages sont excellents dont le compositeur lui-même dans le rôle du ministre, et le Roi du Tunisien Mohamed Jebali. Belle voix de mezzo chez la reine mère de Reem Telhami qui pourrait sans aucun doute affronter le répertoire de Falcon de l'opéra occidental.

À notre sens, l'efficacité de cette fable opératique ne serait pas moins forte et moins  universelle si elle s'achevait simplement, après son hymne à la liberté, sur la mort du poète, sans cette conclusion « politique » obligée qui n'ajoute rien que de la contingence à la force du message, mais il s'agit d'une réserve toute personnelle et globalement le spectacle est une belle réussite.

Prochaines représentations : Lille, 13 et 14 mai ; Dijon, 11, 13 et 14 mai 2017 ; Paris, Philharmonie, 19 mai 2017.

Créé au festival d'Aix-en-Provence en juillet 2016, Kalîla Wa Dimna est visible en replay sur Arte Concert.

 

Frédéric Norac
11 mai 2016

1. Voir dans le site de la Bibliothèque nationale de France : Les fables de Kalîla et Dimna, avec une collection de belles enluminures. Le livre de Kalîla wa Dimna, nommé également Fables de Bidpaï, est une compilation de fables indiennes traduites en arabe par Ibn al-Muqaffa' vers 750. Destiné à l'éducation morale des princes, ce recueil a pour héros deux chacals nommés Kalîla et Dimna.

 

Frédéric Norac : norac@musicologie.org. Ses derniers articles : Don Giovanni au Théâtre des Champs-Élysées : mort et résurrectionIdylle tahitienne : L'Île du rêve de Reyaldo HahnLe baroque allemand selon Philippe JarousskyBonne fête, Cécile (à Notre-Dame de Paris)23e concours de chant de Mâcon : un palmarès déséquilibré (en collaboration avec Strapontin au Paradis)Tous les articles de Frédéric Norac.

 

 

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Mardi 13 Décembre, 2016 2:57