Un début de week-end très dense au théâtre de Caen. D'abord le vendredi la 20e Nuit des cultures et des musiques, très réussie et très festive entre Normandie, Turquie, Inde, Venezuela et Congo, et des musiciens vivant ou travaillant en région. Un final joyeux quand la jeune et magnifique troupe flamenco de Samuelito, Caennais pur jus, disciple habité de Paco de Lucia, s'empare de la grande scène.
Le samedi, le concert proposé, à la suite de la représentation de Brundibár par l'Orchestre régional et la Maîtrise de Caen, retrouve la gravité de l'histoire, avec un quatuor de l'Orchestre régional. Francine Trachier et Thierry Tisserand aux violons, Adrien Tournier à l'alto, Vincent Vaccaro au violoncelle.
Présentation sobre et précise de la musicologue Élise Petit, avec en fond des archives vidéo ou des portraits des quatre musiciens tous morts à Auschwitz, après avoir servi de caution à Terezin, et y avoir écrit et joué leurs dernières œuvres, dans la folie concentrationnaire, quand ils avaient encore un peu d'espoir.
Pourtant le 2e moment du premier mouvement du 3e quatuor de Viktor Ullmann (1898-1944) est plus vif que joyeux, car toujours cette inquiétante étrangeté nous étreint, qu'on retrouve dans les douze notes fuguées du mouvement suivant.
Viktor Ullmann.
Pareil dans le trio de Gideon Klein (1919-1945), le plus jeune et le plus optimiste des quatre, qui a soutenu ses collègues plus anciens par son énergie. Ses mélodies populaires semblent estompées, comme si son pays, la Tchécoslovaquie, juste derrière les murs du ghetto, était en fait déjà plus lointain.
Même impression avec le 3e mouvement du deuxième quatuor de Pavel Haas (1899-1944), datant des années 20, et écrit après une balade en montagne. Comme s'il anticipait, par son caractère « lent et mystérieux » la catastrophe à venir. Avec comme dans les musiques précédentes, cette profonde gravité des thèmes, venant aussi du jeu instrumental, que l'alto et le violoncelle dominent souvent.
Avec les variations sur la Chanson d'Anna, antérieure aussi au drame, Hans Krása, (1899-1944), le compositeur de Brundibár (auquel a été ajouté un prélude de Pavel Haas lors des représentations au théâtre) propose le morceau en apparence le plus léger, avec un alto qui swingue parfois comme à Broadway, mais pas toujours, selon les variations.
Hans Krása.
Un concert, grave et beau, avec des musiciens habitués à ce genre d'hommage et de travail de mémoire [voir notre chronique], essentiel pour le public de tous âges présent dans l'église de la Gloriette.
Élise Petit [voir son étude sur musicologie.org] vient de sortir un livre sur les musiques interdites sous le IIIe Reich avec Bruno Giner aux Éditions Bleu Nuit1.
Alain Lambert
23 mai 2015
tous ses articles.
1. Petit Élise et Giner Bruno, Musiques interdites sous le IIIe Reich : Entartete Musik. « Horizons », Bleu nuit éditions, Paris 2015 [176 p. ; ISNN 1769-2571 ; 20 €].
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