100 miniatures, Péniche Opéra 2015. Photographie Mathilde Michel.
Oui , le « théâtre musical » est bien vivant ! La nouvelle création de la Péniche Opéra le prouve abondamment et avec brio. Plus qu'une pièce de théâtre associée à une musique ces 100 miniatures sont bien une triple partition où texte, musique et mise en scène interagissent en permanence pour créer un objet poétique atypique et captivant. Philippe Myniana est parti de fragments de vie, de bribes de discours quotidiens, dans une langue populaire souvent décalée, celle très concrète des petites gens, dans laquelle s'entendent en creux ces simples drames qui font la vie telle qu'elle est, et par le jeu de leur retour cyclique en une polyphonie fascinante, il réussit à nous raconter l'histoire de quatre personnages et de leur milieu. La musique de Bruno Gillet se veut modeste : quatre instruments familiers sur la scène : piano droit et percussions, violon, guitare et accordéon commentent, rythment, soutiennent et font parler le texte par des effets de retours thématiques, sans jamais empiéter sur la musicalité même de ce livret étonnant qui semble à mi-chemin entre Queneau et Maeterlinck. Un peu de lyrisme, tout de même, vient de temps en temps ouvrir une clairière musicale mais comme un clin d'œil. Amusante ces quatre recettes chantées, « les recettes d'Annette » : le ragoût de saucisses a la pomme ; les beignets à la rose ; le pâté de foie aux pruneaux et le pain perdu qui réunissent les solistes en une sorte de madrigal. Quelques unissons sur un mot une phrase rythment le texte comme la crécelle qu'agite Vincent Leterme a chaque reprise de l'action et un très joli interlude que notre mémoire ne réussit plus très bien à situer crée une respiration dans la petite mais dense heure que dure la pièce.
100 miniatures, Péniche Opéra 2015. Photographie Mathilde Michel.
On rit, on est touché, on jubile face autant d'inventivité. La mise en scène de Mireille Laroche joue habilement d'un espace scénique en quatre cases : entrée, cuisine, salle à manger, salon, que les solistes recomposent au fil des scènes. La scénographie de Thibaut Fack trouve le moyen d'être tout à la fois ordinaire et élégante. Il faut saluer la virtuosité des quatre chanteurs qui construisent leurs personnages par petites touches et leur donnent une authentique présence : le doux quinquagénaire rêveur de Paul-Alexandre Dubois qui revient sans cesse sur ce qui semble être sa rencontre amoureuse avec la petite veuve, ménagère fragile qui se rassure dans sa solitude par ses gestes quotidiens, merveilleusement incarnée par Edwige Bourdy ; l'homme jeune tout en fougue et au bord du délire de Christophe Crapez ; la jeune femme douloureuse et révoltée d'Eléonore Pancrazi à qui une lettre vient annoncer d'évidence la perte d'un être cher et qui refuse de l'accepter. Tous quatre finiront, réunis sous un unique parapluie, en habits du dimanche, évoquant dans un ultime chant à l'unisson une mer noire où l'on a l'impression d'entendre une image de la mort, mais d'une mort simple, normale, naturelle, sans drame, à l'image de ce mélodrame qui conjugue habilement rêve sans onirisme et réalité sans réalisme. Une très grande réussite.
Représentations jusqu'au 15 mars et du 27 mars au 19 avril, au Vingtième Théâtre et les 9 et 10 mai au Théâtre Jean-Vilar de Vitry sur Seine.
Frédéric Norac
7 mars 2015
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