Théâtre des Champs-Élysées, 20 octobre 2015, par Frédéric Norac ——
Theodora, Théâtre des Champs-Élysées, octobre 2015. Photographie © Vincent Pontet.
L'oratorio haendélien ne serait-il qu'un succédané, un travesti opportuniste d'opera seria destiné à recycler de vieilles formules sous prétexte d'édification et à remettre en selle un compositeur démodé ? C'est un peu ce que laisserait à penser le premier acte de cette Théodora, avant dernier opus du compositeur qui, sur un livret de Thomas Morell, inspiré des Vierges admirables de Saint-Ambroise via un roman moral du XVIIe siècle, met en scène la persécution des Chrétiens d'Orient sous le règne de Dioclétien et, à travers la conversion et le martyre d'une princesse « syrienne » et du centurion Didyme, nous entraine dans leur passion chaste et sacrificielle.
Les prémices de la mise en scène de Stephen Langridge transposent l'action dans quelque dictature contemporaine sous le signe de l'intolérance et de l'arbitraire. Brutalités de la soldatesque, haine des courtisans en smokings et robes du soir pour les exclus, exécutions sommaires, l'ensemble très démonstratif sécrète un petit air de déjà vu qui, associé à la mécanique du langage haendélien, laisse vite une impression de platitude. Malgré quelques beautés incontestables de la partition, l'on en vient à penser que peut-être le public londonien qui avait boudé l'œuvre en 1750 n'avait peut-être pas tout à fait tort. Le décor très minimaliste, évoque avec son jeu de murs coulissants, l'idée d'un pouvoir oppressant et sans pitié, symbolisée par l'omniprésence d'une tête monumentale au faciès sinistre qui semble tout droit sortie du statuaire fasciste.
Theodora, Théâtre des Champs-Élysées, octobre 2015. Photographie © Vincent Pontet.
Il faut attendre les scènes intimes du deuxième acte pour qu'enfin la magie opère, grâce notamment au travail très élaboré de Fabrice Kebour sur les lumières qui suggère avec beaucoup de subtilité les espaces du lupanar où Theodora a été jetée ou l'ambiance nocturne des réunions clandestines des croyants et verse sur l'ensemble une coloration orientalisante du plus bel effet. Ici, soudain, le travail des coulisses devient fluidité et l'aspect visuel — costumes simples et neutres des Chrétiens, gestuelle chorégraphiée — exaltent les beautés d'une partition souvent fascinante dans son mélange d'airs da capo et d'arioso alternant avec des chœurs et des chorals à l'écriture extrêmement élaborée et des passages orchestraux d'une incroyable modernité. La scène où Theodora et Didyme échangent leurs vêtements pourrait assez facilement verser dans le ridicule mais elle est transcendée par la beauté musicale du duo qui les unit. Si la tension retombe quelque peu au troisième acte, la machine est suffisamment bien lancée pour que l'intérêt persiste et mener le spectateur captivé jusqu'au dénouement.
Theodora, Théâtre des Champs-Élysées, octobre 2015. Photographie © Vincent Pontet.
Il faut dire qu'à partir du deuxième acte, le plateau vocal semble tout comme la mise en scène, trouver ses marques et plonger enfin au cœur d'une œuvre qui se révèle plus originale que ne l'annonçait l'acte d'exposition. C'est singulièrement vrai pour le Didyme de Philippe Jaroussky à qui les quelques accents héroïques de son rôle au premier acte ne convenaient guère et qui trouve, dans le caractère éthéré du second, matière à faire valoir la beauté de son registre aigu. On sera un peu plus réservé sur Kresimir Spicer qui parait souvent inconfortable dans la tessiture de Septime, sans doute trop aiguë pour sa belle voix de ténor plutôt centrale, et qui laisse entendre une certaine tension dès qu'il s'agit de vocalises. La belle musicalité de Stéphanie d'Oustrac compense largement le sentiment qu'Irène appellerait une voix plus corsée que son mezzo clair et sopranisant tandis que les deux Anglo-saxons de la distribution, Katherine Watson magnifique en Theodora et Callum Thorpe en Valens se révèlent absolument impeccables. Mais les grands triomphateurs de cette soirée finalement très acclamée restent le chœur et l'orchestre des Arts Florissants, les premiers somptueux de couleur et de volume et d'une parfaite homogénéité, les seconds exemplaires de velouté et transparence, dans une orchestration essentiellement basée sur la richesse des cordes. William Christie qui en est à sa troisième expérience1 avec ce Haendel qu'il semble décidément chérir particulièrement, réussit au final à nous convaincre que cette Theodora est digne de figurer parmi les œuvres majeures du compositeur.
Theodora, Théâtre des Champs-Élysées, octobre 2015. Photographie © Vincent Pontet.
Frédéric Norac
20 octobre 2015
Diffusion sur France Musique le 24 octobre à 19h
1. Il l'avait déjà défendue en 1996 dans une mise en scène de Peter Sellars au festival de Glyndebourne (DVD NVC Arts), puis en version de concert en 2003 (CD Erato).
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