Maria Stuarda, Théâtre des Champs-Élysées, juin 2015. Photographie © Vincent Pontet.
On dit qu'à la création de l'opéra de Donizetti au San Carlo de Naples en 1834, les deux protagonistes, Giuseppina Ronzi de Begnis qui incarnait Marie Stuart et Anna del Serre Elisabeth 1re, faillirent en venir aux mains dans la fameuse scène de la rencontre où la Reine d'Écosse finit par traiter sa lointaine cousine la reine d'Angleterre de « Vil bastarda, figlia impura di Boleyna » (traduction inutile). En ce soir de première au Théâtre des Champs-Élysée, ce n'est pas sur scène que la bataille aura eu lieu mais dans la salle, au rideau, où chacune des deux interprètes aura reçu sa dose d'applaudissements et de huées.
Chacun peut, certes, avoir son idée de la vocalité requise pour incarner la reine vindicative et imbue de son pouvoir, ou celle déchue et emprisonnée dont le deuxième acte raconte essentiellement la condamnation, le repentir et la fin mais il faut admettre qu'au-delà de goûts qui, en matière de voix, sont toujours un peu une affaire personnelle, aucune des deux chanteuses qui faisaient leurs débuts dans la capitale dans cette production n'aura franchement démérité.
Maria Stuarda, Théâtre des Champs-Élysées, juin 2015. Photographie © Vincent Pontet.
Carmen Giannatasio possède une voix très centrale, apte aux rôles dramatiques, voire à quelques tessitures à la limite du mezzo et du soprano, ce que justement est Elisabeth. Sa maîtrise des écarts de registre impressionne et elle est capable d'une émission en force très contrôlée, vocalisant à la perfection, ce qui apporte au personnage d'Elisabeth ce caractère abrupt et intolérant, remarquablement saisi dans son air de la condamnation au deuxième acte. La cabalette de son air d'entrée au premier était tout de même un rien caricaturale. Certes Aleksandra Kurzak (l'actuelle Mme Roberto Alagna) peut paraître un peu légère pour les aspects les plus lyriques du rôle-titre. Le médium manque un peu d'épaisseur, l'aigu pianissimo est assez ténu, mais la conduite de voix est remarquable et l'émission « angelicata » d'une grande suavité. Si cela ne suffit pas à faire une très grande Maria Stuarda, cela nous vaut tout de même quelques beaux moments de vocalité et, globalement sur la durée, les deux protagonistes se complètent bien et portent sans faillir l'intérêt de la soirée.
Maria Stuarda, Théâtre des Champs-Élysées, juin 2015. Photographie © Vincent Pontet.
Du côté des Messieurs qui sont essentiellement dans cet opéra des faire-valoir, mais qui ont tout de même à participer à quelques ensembles, voire même à des (presque) duos, on notera des problèmes de justesse chez le Talbot de Carlo Colombara, un émission un peu serrée mais qui va en s'assouplissant au fil de la soirée chez le Leicester Francesco Demuro — à qui on reprochera tout de même une tendance un peu marquée au sanglot expressif — et une parfaite adéquation au rôle de méchant servile chez Christian Helmer. Les choeurs du théâtre sont remarquables d'expressivité dans la grande introduction de la scène finale et dans leurs répliques à la protagoniste. Daniele Callegari dirige l'orchestre de chambre de Paris dans une lecture hautement romantique, valorisant la force dramatique de la partition, la richesse de son orchestration et la beauté des préludes orchestraux comme celui qui ouvre la dernière scène.
La mise en scène aura elle aussi eu droit à quelques contestations. Il est vrai qu'honnêtement, il ne s'agit pas d'une des plus géniales du duo Caurier-Leiser que l'on a connu plus inspiré. Les deux reines, en costume d'époque, se meuvent dans un univers entièrement contemporain. Au premier acte le décor se limite à une photo floutée en fond de scène de ce qui est vraisemblablement Buckingham Palace tandis que les choristes célèbrent leur reine transformés en invités de quelque solennité princière ; au second nous sommes dans une espèce de prison moderne prolongée en fond de scène par ce qui ressemble à un couloir de la mort en trompe-l'œil derrière des grilles. La scène de l'exécution de la reine dans une boîte blanche éclairée a giorno prend un relief singulier et, malgré la présence de la hache, ne peut manquer de faire penser par le caractère « hygiénique » du lieu à ces exécutions modernes qui se donnent des airs neutres pour échapper à l'idée du crime. Un store vénitien descend lentement sur l'image de la décapitation et l'occulte tout à fait avant que la hache et le rideau ne tombent. Une approche certes fonctionnelle mais un peu limitée.
Maria Stuarda, Théâtre des Champs-Élysées, juin 2015. Photographie © Vincent Pontet.
Frédéric Norac
18 juin 2015
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