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17 mars 2015, par Jean-Marc Warszaswski ——

Affaire Henri Dutilleux : fumisterie à la mairie de Paris

Henri Dutilleux est un des plus grands compositeurs du xxe siècle l'un des plus joués dans le monde. Sa bienveillance, son humanisme étaient légendaires dans le monde musical. Décédé à l'âge de 97 ans le 22 mai 2013, aucun représentant officiel ne sera à ses obsèques, la représentation nationale étant mobilisée pour celles de Georges Moustaki. Mais on ne compte pas les distinctions internationales qu'il a reçues de son vivant, dont la plus haute décernée par la nation française, la Grand-croix la Légion d'honneur.

C'est donc à juste titre que Jean-Pierre Plonquet, qui sera candidat à la mairie du 4e arrondissement en 2014, propose en novembre 2013 la pose d'une plaque commémorative sur la maison de l'Île-Saint-Louis où habitait Henri Dutilleux. Proposititon reprise en un Conseil municipal de décembre 2014. Un refus est opposé sous prétexte qu'Henri Dutilleux aurait été un collaborateur au cours de l'Occupation nazie. L'élue Karen Taïeb et le maire du 4e arrondissement de Paris Christophe Girard sont au front, ce que relate le blog L'Indépendant du 4e Arrondissement de Paris.

Cet article est comme un coup de sang qui ne fait qu'un tour dans le monde musical, une pétition est proposée aux signatures (elles sont plus de 3000 en deux jours) par les compositeurs Étienne Kippelen, Matthieu Stefanelli et Régis Campo.

Avancer que Dutilleux est indigne de la nation pour collaboration avec le régime nazi apparaît comme une infamie délirante, dès qu'on a une idée de ce que fut l'occupation, de qui fut Henri Dutilleux, et ce de qu'on peut comprendre par « collaboration ». Évidemment, les boulangers ont continué à cuire du pain, les maçons à construire des murs, les médecins à soigner, les musiciens à jouer et composer.

Les signataires ne manquent pas de souligner la bêtise et l'inculture de Karen Taïeb et de Christophe Girard, la droiture humaniste et la grandeur du compositeur; l'idiotie des accusations qui sont portées à sa mémoire. Parmi eux, on relève des noms de Richard Galliano, Raphaël Pidoux, Françoise Tillard, Philippe  Cassap, Nicolas Bacri, des filles d'Alexandre Tansman, Bernard Cavanna, Christian Ivaldi, Philippe Hurel, Suzanne Giraud, François Frédéric Guy, le compositeur et chef d'orchestre anglais George Benjamin, Jean-Claude Casadessus, Claire Gibault, Françoise Pollet, François Leroux, Édith Canat de Chizy, Michèle Reverdy, Patrick Marie Aubert, la pianiste Françoise Thinat fondatrice et animatrice du Concours d'Orléans, mais aussi Yves Riesel fondateur d'Abeille et de Qobuz, Lionel Esparza de France-Musique, Olivier Bellamy de Radio-Classique, Emmanuel Dupuy rédacteur en chef de Diapason, Gérard Condé, Gilles Cantagrel, le directeur de maisons d'opéra et académicien Hugues Gall… Et bien d'autres qui comptent dans le monde de la musique et courants aux oreilles des mélomaes.

Dans les années sombres, Dutilleux,  qui a en poche son Prix de Rome, est nommé chef de chant à l'Opéra de Paris en 1942, année où il rejoint ses collègues Résistants au sein de Front national des musiciens, et c'est certainement dans ce cadre qu'il prend le risque de mettre en musique La Geôle du résistant Jean Cassou en 1944. Toujours en 1942, il compose la musique d'un film propagandiste commandité par l'État (pétainiste) français, destiné à encourager les patrons d'usine à construire des stades près des lieux de travail des ouvriers. Bien plus tard, en 1997, il compose The shadows of times, dédiés à Anne Franck.

On pense à Roland Manuel (Roland Manuel Alexis Levy), musicologue résistant qui, encore en 1942, compose la musique  de Les inconnus dans la maison, un film d'Henri Decoin produit par la société allemande Continental. Roland Manuel sera inquiété à la Libération, mais son dossier est classé sans suite.

Christophe Girard, poste alors un message sur Twitter dans lequel il prétend suivre l'avis du Comité d'Histoire de la ville de Paris, manière de ne pas assumer sa décision, qui est nécessairement politique, les historiens n'ayant rien à décider, car l'histoire dit ce qui fut mais ne juge pas.

Ayant relancé la polémique par cette maladresse, il en remet une couche, celle-ci vertigineuse en envoyant un autre message sur Twitter comparant Dutilleux à Céline, comparant la musique d'un film somme toute anodin (il faut construire des stades pour les classes laborieuses) à l'engagement forcené de l'écrivain nazi, ses articles violemment antisémites, personnage du premier cercle pétainiste qui vivra l'exil pouilleux du gouvernement de la honte nationale à Sigmaringen. Soit c'est de l'ignorance crasseuse, soit  de la morgue d'un incommensurable pédantisme.

«Je ne fais que suivre les recommandations du Comité d'histoire de la Ville. L-F Céline est un grand écrivain mais… ». Ce tweet a été supprimé ce jour 17 mars.

Enfin, l'avis du Comité d'Histoire de la ville de Paris étant rendu public, on apprend que celui-ci était positif. En plus d'être le peu mais très hautain qu'il est, Christophe Girard est un menteur.

Ne pouvant plus s'abriter derrière le Comité dirigé par l'historienne Danielle Tartakowsky, il se prend les pieds dans le tapis,  met cette fois la décision au compte d'Anne Hidalgo en personne, invoquant les attentats de Paris, les commémorations de l'extermination nazie, et je ne sais quoi d'autre, qui seraient incompatibles avec un hommage à Henri Dutilleux, source de possibles manifestations. Changement donc de rhétorique, ce n'est pas le moment, mais ça viendra. Et de fait, confirme que selon lui et contre les faits, Henri Dutilleux n'aurait pas eu une conduite digne pendant les années noires, ce qui est faux.

Il faudrait donc que les élus ignorants de la ville de Paris s'éduquent rapidement pour que non seulement la plaque proposée par le comité historique de la ville de Paris soit apposée sur l'immeuble dans lequel logeait Henri Dutilleux, mais encore qu'ils pensent à baptiser une rue, une place, un conservatoire un auditorium de son nom. Arletty a bien une plaque commémorative rue Rémusat. Ces gens ne furent pas tant dégoûtés par François Mitterrand, chef de service de l'administration pétainiste en 1942, décoré de la Francisque en 1943, qui pendant de très longues années a déposé des fleurs sur la tombe de l'indigne maréchal. Sont-ils prêts à débaptiser le site Tolbiac de la Bibliothèque de France ?

Ces gens ne vivent plus dans le monde des vivants, ils vivent dans leurs fantasmes de groupe.

Jean-Marc Warszawski
17 mars 2015
© musicologie.org

Biographie d'Henri Dutilleux

Un artiste soucieux d'autrui, Le monde, 22 mai 2014, par Renaud Machart

Henri Dutilleux, la mort du géant de la musique française, par Christian Merlin, Le Figaro,

Polémique sur une plaque à Paris pour le compositeur Henri Dutilleux, Le Monde

Polémique sur une plaque pour le compositeur Henri Dutilleux, Culturebox.


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