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1er mai 2018 —— Jean-Marc Warszawski.

Les écrits en liberté musicale de Ferruccio Busoni

Ferruccio Busoni, Esquisse d'une nouvelle esthétique musicale et autres écrits (traduction par Martin Kaltenecker, Paul Masotta, Daniel Dollé et Pierre Michel, présentation par Pierre Michel). « Musique ouverte », Minerve, Paris 2018 [228 p. ; ISBN 978-2-86931-149-7 ; 22,00€]

Ferruccio Busoni (1866-1924), fut très jeune une vedette mondiale du piano, à l’égal de Liszt. Ses transcriptions pour piano d’œuvres de Johann Sebastian Bach sont toujours au répertoire des pianistes. Il est malheureusement moins connu comme compositeur, et encore moins comme penseur de  son art.

Pourtant ses compositions valent qu’on  s’y arrête, autant que ses écrits, dont son Esquisse d’une nouvelle esthétique musicale achevée en 1916.

Voici donc une édition critique de ses écrits dans une nouvelle traduction (avec ici ou là quelques anachronismes dans des expressions qui ne me semblent pas convenir à son époque), notamment de son Esquisse, avec en prime les annotations qu’Arnold Schönberg y porta. ll s’agit bien là d’une esquisse, ou d’une série de réflexions pouvant y contribuer.

Busoni ne cherche pas midi à quatorze heures, ni à discourir sur son discours. Il porte un regard sur le monde de la musique de son époque, et quelques autres sujets de manière concrète, mais aussi quelque peu hégélienne. Il est surtout un penseur libre, chantre de la liberté, qui ne reprend pas à son compte une normativité qu’il rejette. On ne cherchera donc pas une relation de théorie à pratique entre ses écrits et ses compositions. Lev Vygotski remarquait qu’en réalité, le rapport de théorie à pratique était comme un tunnel qu’on creuserait par les deux bouts, non seulement c’est rarement tout droit, et souvent on ne fait pas la jonction.

Pour lui, « L’art musical est né libre, et la liberté est sa destination ».  Il met cette liberté au compte de l’abstraction de l’art musical (il est aussi hégélien sur ce point), une abstraction qui peut permettre mieux que les autres arts ne peuvent le faire, à devenir le reflet idéal de la nature.

Ferruccio Busoni est un amateur d’aphorismes et de paradoxes. Ce reflet est un idéal, car l’auteur  rejette les musiques à programme. La musique doit s’occuper des sentiments que les choses provoquent, pas des choses elles-mêmes, et encore, sage pensée théâtrale, ces sentiments doivent être discrets, car pour provoquer de l’émotion il n’en faut pas avoir soi-même (on peut dire : par procuration pour les autres). Mais la musique absolue n’est qu’un jeu de formalisation, et la forme est en opposition avec la musique absolue.

En fait il attribue à la musique, ce qui n’est pas ici sans intérêt, l'ancienne séparation entre la perfection de l’Idée le monde visible imparfait, réaménagée à la charnière de la philosophie plotinienne par la théologie chrétienne en la séparation de l’âme immortelle et de son enveloppe charnelle donc mortelle. Pour lui la musique a des qualités éphémères (celles du monde visible imparfait), ce qui est à la mode ou les diverses formes musicales, et des qualités immuables, qui touchent à la nature véritable de la musique, qu’elle soit ancienne ou moderne, surtout que de tout temps, il y a de la musique ancienne et de la musique moderne.

Il estime également que le classicisme, entendons la musique tonale, est à sa fin par épuisement de ses effets, mais les développements futurs lui sont inconnus. Il est assuré que la musique tendra vers sa pure et vraie nature, débarrassée de ses béquilles ou illusions formelles, architectoniques, symétriques, divisées, comme il le dit. Cette idée de nature, une nature musicale (« son essence supérieure ») se fondant avec une  nature universelle, marque la limite idéaliste et le fond d’immatérialisme de la pensée de Ferrruccio Busoni.

En vrai penseur, c’est-à-dire en penseur libre, il soulève questions et paradoxes, sans y apporter de réponses, ce qui serait refermer un cycle, comme il le dit de la musique de Mozart ou de Wagner, qui pose les questions et y répond.

Tout au plus propose-t-il une série de gammes inusitées (à partir de notre échelle tempérée) propres à explorer d’autres horizons sonores, ce qu’il n’a pas exploité lui-même. Un rêveur utopiste ? Pas sûr. Il écrit qu’il ne devrait y avoir aucune loi en art, que toute œuvre doit être une exception à la règle, ou suivant une loi propre qui doit être aussitôt abandonnée : « Le devoir du créateur consiste à formuler des lois et non pas à les suivre. Celui qui obéit aux règles existantes cesse d’être un créateur ».

Ses élèves, Edgar Varèse et Kurt Weill ont certainement exploré  de ces nouvelles voix, un temps informelles ou d’un nouveau formalisme, certainement moins qu’un John Cage, peut-être véritable héritier, qui se cogne tout de même à des limites, car à aucun moment on se pose la question de la contrainte comme activeur organique de la création.

Ferruccio Busoni remarque que le peintre est prisonnier du cadre de sa toile et sa peinture de son statisme, ce dont ne souffre pas la musique qui peut donner mouvement et varier les couleurs. Mais il remarque également que les instruments de musique sont eux-mêmes des contraintes, car ils ne sonnent jamais que comme les instruments qu’ils sont.

« Selon moi, c’est vers le son abstrait qu’il faut aller, vers une technique qui ne connaît plus d’obstacles, vers l’absence totale de limites sonores […] Ce qui dans la  musique actuelle, se rapproche le plus de sa nature d’origine, ce sont les silences et les points d’orgue »… On revient à John Cage ou à Hegel, abstraction de l'abstraction.

Les éditeurs ont ajouté à la suite de l’Esquisse, un grand nombre de billets, essentiellement sur des sujets musicaux, publiés à diverses occasions, dans lesquels sont déclinées des idées confluentes ou affluentes de l’Esquisse, où paradoxes et aphorismes animent une plume claire et sans ambages, qu'on lit avec plaisir et profit.

 

Jean-Marc Warszawski
1er mai 2018

 

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Mercredi 2 Mai, 2018 22:41