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La musique qui convient aux Chrétiens
Dans Théodor Gérold,
« Les Pères de l'Église et la musique »

 Imprimerie alsacienne, Strasbourg 1931 - Alcan, Paris 1931

 

« Il me semble à moi que cet homme de Thrace (Orphée) et le Thébain (Amphion) et celui de Methymée (Arion) n'ont pas été des hommes, mais des trompeurs qui, sous le prétexte de musique, ont rendu la vie plus mauvaise et qui, étant au service des démons, ont par un enchantement artistique... conduit les hommes vers les idoles. La belle liberté dont jouissaient ceux qui habitaient sous le ciel, ils l'ont, par leurs odes et épodes, converti en esclavage. Ce n'est pas ainsi qu'est mon chanteur. Il a été envoyé pour détruire l'amère servitude des démons tyraniques... Le seul de tous ceux qui ont existé, il a dompté les bêtes les plus sauvages, les hommes : celles qui ont des ailes — les hommes légers ; les animaux rempants — les trompeurs ; les lions — les coléreux ; les cochons — les licencieux ; les loups — ceux pleins de rapine... Vois le nouveau chant, comme il a été puissant ! des pierres et des bêtes sauvages il a fait des hommes. Ceux qui auparavant étaient comme morts, ceux qui n'avaient aucune part à la véritable existence, reprirent de la vie dès qu'ils entendirent ce chant. » (1)

Dans son langage imagé et vivement coloré Clément d'Alexandrie met ainsi en opposition les effets malfaisants des anciens mythes propagateurs de l'idolâtrie, et la bienfaisante et seule vivifiante action du Verbe de Dieu. Mais cetté page allégorique reflète aussi les opinions des Docteurs de l'Eglise sur l'utilité des chants chrétiens et les résultats salutaires qui en découlent vis-à-vis de la musique profane. On retrouve dans les fréquentes énumérations des bienfaits de la psalmodie les idées émises par Clément sur les effets de la parole divine, les chants religieux étant considérés comme de puissants moyens d'actions sur les âmes des fidèles.

Aux mélodies profanes on oppose le plus souvent le chant des psaumes, mais certains auteurs s'expriment d'une façon plus générale, ainsi Diodore de Tarse qui dans l'ouvrage connu sous le titre de Quaestiones et responsiones ad orthodoxos (composé vers 370) écrit: « Le cantique éveille dans l'âme un ardent désir pour le contenu du morceau chanté ; il calme les passions suscitées par la chair ; il éloigné les mauvaises pensées qui nous ont été suggérées par des ennemis invisibles ; il inonde l'âme pour qu'elle soit féconde et rapporte divers bons fruits; il rend ceux qui combattent avec piété aptes à supporter les épreuves les plus terribles ; il est pour toutes les personnes pieuses mi remède contre les maux de la vie terrestre. L'apôtre Paul dénomme le cantique « glaive de l'esprit », parce qu'il donne une arme aux pieux combattants contre les . esprits invisibles ; car la « parole de Dieu », quand elle occupe l'esprit, qu'elle est chantée et énoncée, peut chasser les démons. Tout cela procure à l'âme la faculté de se perfectionner dans toutes les vertus et est donné aux personnes pieuses par les chants ecclésiastiques.» (2)

Basile préconise plus spécialement la psalmodie : « Le psaume est la tranquillité de l'âme, l'arbitre de la paix, calmant les pensées tumultueuses et turbulentes. Il donne le repos à l'âme agitée, il assagit l'homme dissolu. Le psaume est le soutien de l'amitié, le trait d'union pour ceux qui sont désunis, le moyen de réconciliation entre ennemis. Car qui pourrait encore considérer quelqu'un comme ennemi après avoir une fois envoyé sa voix vers Dieu avec lui ? La psalmodie procure donc le plus grand des biens, l'amour.» Mais le psaume a encore bien d'autres vertus. « Le- psaume chasse les démons et attire l'aide des anges. C'est une arme contre les craintes nocturnes et un repos dans les fatigues du jour ; c'est une aide pour ceux qui sont encore faibles d'esprit, un ornement pour ceux qui sont encore dans la fleur de la jeunesse, une consolation pour les plus vieux, la parure la plus séante aux femmes. La psalmodie peuple les déserts, donne aux marchés un caractère sérieux. Pour les débutants c'est un commencement, pour ceux qui sont plus avancés un moyen de progresser, pour ceux qui sont déjà fermes, un soutien. C'est la voix de l'Eglise. Le psaume rend les fêtes joyeuses, il donne au deuil le caractère qui lui convient selon Dieu. Le psaume peut même faire sortir des larmes d'un coeur de pierre. Il est l'oeuvre des anges, la conversation céleste, l'encens spirituel ».... (3).

Saint Ambroise développe les mêmes idées et il semble même qu'il se soit inspiré du texte de Basile. « Le psaume calme la colère, délivre des soucis, allège la tristesse ; dans la nuit, c'est une arme, dans le jour, une règle de conduite ; un bouclier dans les moments de peur, un soutien de la sainteté, une image de la tranquillité ; un gage de paix et de concorde ; de même que la cithare qui, avec plusieurs sons divers et de différente sorte ne produit qu'une seule mélopée. » (4)

Reprenant cette dernière image, il dit, un peu plus loin : « Les cordes de la cithare sont différentes entre elles, mais il y a concordance unique. Dans ces quelques cordes les doigts du virtuose se trompent assez souvent, l'esprit divin artiste (spiritus artifex) ne saurait faire d'erreur. »

Ensuite, pourtant, il donne une définition du rôle du psaume, qui est intéressante à noter : « Certat in psalmo doctrina cum gratia simul. Cantatur ad dilectionem, discitur ad eruditionem. » Il y a deux éléments dans la psalmodie : d'une part elle nous donne une jouissance agréable, de l'autre elle contribue à notre instruction. Et Saint Ambroise, s'appuyant sans doute sur des expériences personnelles ajoute: « les préceptes inculqués avec violence ne de-meurent pas ; mais ce que tu auras appris d'une façon agréable, ne disparaîtra plus, une fois bien introduit dans l'esprit. » (5)

Quoique s'inspirant, comme nous l'avons dit, de théories déjà émises avant lui, Saint Ambroise sait ajouter à ces doctrines une note originale. D'autres se sont contentés de résumer ce qui avait été énoncé avant eux. Un passage d'un ouvrage de Proclus, patriarche de Constantinople, pourra servir d'exemple d'une de ces énumé rations schématiques, indiquant les influences de la psalmodie tant sur le corps que sur l'âme de celui qui la pratique (6) : « La psalmodie est toujours une source de salut ( Σωτήφιος άεί ή ψαλμωδία ) sa mélodie calme les passions ; ce qu'est la faucille contre les buissons d'épine, le psaume l'est contre la tristesse. Car le psaume, quand il est chanté ( Ψαλμός μελωδούμενος), supprime la dépression de l'âme, détruit la douleur par la racine, atténue les passions, sèche les larmes, chasse les soucis, console ceux qui sont en affliction, pousse les pécheurs à la repentance, incite à la piété, peuple les déserts, donne de la sagesse aux citoyens des villes, fonde des monastères, provoque la virginité, enseigne la douceur, prêche l'amour, célèbre la charité, exhorte à la patience, élève l'âme vers le ciel, donne de la fermeté à l'Eglise, sanctifie le prêtre, bannit les mauvais démons, prédit l'avenir, initie aux mystères, enseigne la Trinité. »

On remarquera qu'au début de ce long passage, où sont énumérés, un peu pêle-mêle, les effets bienfaisants de la psalmodie sur la vie religieuse et morale, la vie civique et les institutions ecclésiastiques, l'auteur insiste particulièrement sur la mélodie. Ce n'est pas la simple lecture ou récitation des psaumes qui a des résultats si heureux, c'est le chant.

Nicète, évêque de Trèves au VIe siècle, après avoir démontré l'utilité des psaumes pour les enfants, les femmes, les jeunes gens, les vieil. lards, continue ainsi : « Dominus itaque Deus noster per David servum confecit potionem quae dulcis esset gustu per cantionem (7). »

Cassiodore, un peu plus tard, vantera également les vertus de la psalmodie (dans la préface`aux psaumes) « Psalini sunt denique, qui nobis gratas esse faciunt vigilias ; quando silenti nocte psallentibus choris humana vox erumpit_in musicam, verbisque arte modulatis ad ilium redire facit, a quo pro salute humani generis divinum venit eloquium. Cantus est qui sures oblectat et animas instruit ; fit vox una psallentium et cum angelis Dei, quos audire non possumus, laudum verba miscemus. »

L'idée que les choeurs des anges se mêlent au chant des fidèles se rencontre aussi chez les Pères des églises d'Orient (8) ; elle semble aussi déjà se trouver dans de très anciennes liturgies. Le culte terrestre idéal est celui qui correspond le mieux à celui qu'observent les anges. (9)

La mélodie n'avait naturellement pas la même importance que les paroles. Celles-ci étaient l'essentiel ; c'était par elles que se répandait l'évangile de Dieu, la mélodie n'était qu'un moyen, souvent très important, de faciliter la propagation et la compréhension du texte biblique. Quelques chefs de communautés voyaient même un certain danger dans le chant. Chrysostome fait bien remarquer que David ne chante pas ses psaumes pour donner du plaisir et de l'agrément à nos oreilles, mais pour réjouir l'âme et lui être utile (10).

Athanase insiste sur la nécessité d'établir une harmonie entre les paroles, la mélodie et le rythme de l'âme et de l'esprit. Ceux qui chantent ainsi font du bien non seulement à eux-mêmes mais aussi à ceux qui les écoutent (11).

Saint Augustin avoue qu'il éprouve toujours encore du plaisir à entendre les mélodies qui animent la parole de Dieu chantées par une belle voix bien conduite. e Cependant, dit-il, je crains parfois de leur faire plus d'honneur qu'il ne convient, lorsque je remarque que nos âmes sont poussées avec plus de ferveur et d'ardeur à la piété par ces mélodies, quand elles sont chantées ainsi que dans le cas contraire. » (12) Se rappelant combien lui-même a été ému par des chants bien exécutés, il en reconnaît pleinement l'utilité pour l'Eglise. « Et pourtant, ajoute-t-il, quand il m'arrive d'être plus ému par le chant que par les paroles qu'il accompagne, je con-fesse que je me suis rendu coupable d'un grave péché. »

Il est très compréhensible que les chefs des diverses communautés aient cherché à établir, par des règles, les limites dans lesquelles le chant liturgique pouvait se mouvoir, et à donner des instructions tant aux prêtres qu'aux fidèles, afin d'éviter les excès de toute sorte.

 

1. Protrept. I, 2.

2. Voir Ad. Harnack,Diodor von Tarsus dans Texte u. Untersuchunges sur Gesclrichte d. altchristl. Litiratur, Neue Folge, VI. Bd., 4. Heft, Leipzig, 1901, p. zz8.

3. Homil. I in ps. (Migne, 29, COl. 212-13).

4. Enarr. in XII ps. Davidicos (Migne, XIV,9os et s.).

5. « Cantatur ad dilectionem, discitur ad eruditionem. Nam violentiora praecepta non permanent : quod autem cum suavitate perceperis, id, infusum semel praecordiis, non consuevit elabi. » Basile avait exprimé la même idée Homil. in ps. I.) ; Ambroise se l'est peut-être appropriée, en ayant reconnu la justesse.

6. Orat. de incarnat. Dons. 2, i (Migne P. gr., 65, col. 692).

7. Gerbert, Scriptores I, p. lo b.

8. Chrysostome, In ps. 7 : « άγγελοτ περιχορεύουσι τους ήμετέρους » cf. aussi Basile, El. II, 2, 2-

9. Wetter, Altchristl. Ltturgien, Gôttingen 1921, p. 6, 22.

10. In ps. 100, 1.

11. Epist. ad Marcell. (Migne, P. gr. 27, col. 39).

12. Conf. d. X, ch. 33. «Aliquando plus mihi videor honoris eis tribuere quam decet, dum ipsis sanctis dictis religiosius et ardentius sentio moveri animos nostros in fiammam pietatis, cum ita cantantur, quam si non ita cantarentur. »

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