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11 février 2011, par Jean-Luc Vannier.

Boris Godounov à l'Opéra de Nice

Créé dans une version remaniée au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg le 27 janvier 1874, le Boris Godounov de Modeste Moussorgsky mêle les élans mystico-religieux de l'histoire populaire russe et une tragédie du pouvoir écrite par Alexandre Pouchkine. Produite par le Théâtre du Capitole de Toulouse, l'Opéra de Nice présentait, vendredi 11 février, la première de la version originale de 1869 composée de sept tableaux. Membre du « Groupe des 5 » qui rejetait l'influence occidentale au profit d'un romantisme nationaliste russe, Moussorgsky exclut de ce travail toute histoire d'amour et toute dynamique dramaturgique. Œuvre finalement assez pesante, « intellectuellement rugueuse », elle enchaîne sur des tempi toujours très lents, une succession de ce qui ressemble à des scènes d'exposition pendant deux heures quarante – sans interruption ! – même si l'on devine le drame sous-jacent se nouer jusqu'à la scène finale.

Photo D. Jaussein.

On attendait beaucoup de la direction musicale de Gennadi Rozhdestvnesky. Célébré dans les plus grandes académies de musique du monde, l'illustre maestro fascine, il est vrai, par le maniement de sa baguette : celle-ci ne donne qu'une vive et nette impulsion au début de la mesure et l'onde directrice de cette dernière semble accomplir comme par magie le reste. Mais, trop concentré peut-être sur sa partition, le chef d'orchestre russe en néglige la direction d'acteurs : abandonnés à eux-mêmes, les chanteurs manquent l'émotion des scènes essentielles qui font pourtant la beauté de cette pièce : le « monologue » de Boris dans la troisième partie ou la « scène de l'Innocent » dans la suivante peinent à convaincre. On ne blâmera pas le choix conceptuel de décors réduits aux seuls tables, chaises, bancs et trône impérial sur un plateau vidé de toute installation matérielle : il met en exergue le rôle prépondérant des voix et insiste sur l'intériorité désespérée des caractères. Mais pour quelles raisons alors ajouter dans le palais un écran sur lequel sont projetées des scènes qu'on pense issues d'un film de Sergei Eisenstein ou faire descendre un portrait sans visage à la mort du tsar pour « figurer » la fantomatique vengeance de Dimitri, assassiné par Boris Godounov ? Quasi inexistante, la mise en scène signée Nicolas Joël alourdit par son statisme un opéra déjà empreint, de par sa nature, d'immobilisme scénique. Tout au plus appréciera-t-on le dédoublement du tsar devant la cathédrale de la Dormition au Kremlin : malgré les fastes de son couronnement qui le place sur une estrade au-dessus du peuple, un autre en lui-même perdu dans la foule avoue : « j'ai l'âme en deuil, un pressentiment m'étreint le cœur ». Les costumes de Gérard Audier qui habille les Boyards en capitalistes du New York Stock Exchange au siècle dernier et les éclairages subtils de Stéphane Roche sont à mettre au crédit de cette production.

Photo D. Jaussein.

L'importante distribution – essentiellement des voix masculines – ne déçoit pas : le baryton-basse Evgeny Nikitin donne la mesure de son talent vocal et incarne un Boris Godounov dont le sentiment de toute puissance est miné par une immense culpabilité. On regrettera néanmoins une agonie finale légèrement surjouée. Le ténor Andrey Popov campe pour sa part un Prince Vassili Chouïski intrigant à souhait, caractère bien exprimé par ses capacités à puiser dans le double registre de la soumission et de la trahison. Souffrant, Sviatoslav Smirnov s'est fait remplacer dans le rôle d'Andrei Chtchelkalov par Alexander Gergalov, baryton au souffle parfois un peu court. Plus convaincant dans son rôle du moine Pimène, la basse Brindley Sherrat réussit à capter l'attention du public par son monologue d'une rare intensité vocale et dramatique et ce, malgré une scène d'une exceptionnelle longueur. Evgeny Akimov dans le rôle de Grigori et Gennady Bezzubenkov dans celui de Vaarlam sont quant à eux les seuls à profiter des ressources d'un jeu scénique pour rehausser la qualité de leur prestation.

Marqué par le déni du lyrisme et l'attachement viscéral aux « sonorités nationales russes », Boris Godounov se situe à l'exact opposé d'Eugène Onéguine, œuvre de Tchaïkovski joué la première fois à Moscou en 1879. Les deux opéras sont pourtant le fruit du même auteur. Preuve que l'inspiration artistique russe oscille toujours entre l'âme slave et l'attirance pour l'Occident.

Nice, le 13 février 2011
Jean-Luc Vannier


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