Un magnifique « Il ritorno d'Ulisse in patria » de Monteverdi en fin de saison à l'Opéra de Nice
Par Jean-Luc Vannier
Lorsque les humains apostrophent les Dieux de l'antiquité, ceux-ci leur répondent. À leur façon. Et les hommes de se plaindre d'être soumis aux « caprices du Temps, de la Fortune et de l'Amour » comme en témoigne le prologue de « Il ritorno d'Ulisse in patria », opéra de Claudio Monteverdi créé à Venise en février 1640. Et dont l'Opéra de Nice présentait, vendredi 31 mai, la première, issue d'une coproduction de l'Arcal, Compagnie nationale de théâtre lyrique et musical, du TGP-CDN de Saint-Denis, de l'Opéra de Reims et de l'Orchestre baroque Les Paladins avec son directeur Jérôme Correas.
Une œuvre de récitatifs très expressionnistes fondée sur la fin de l'Odyssée du poète Homère : soutenu par la déesse Minerve, le héros travesti en vieillard confondra, de retour à Ithaque, les sournois prétendants à sa fidèle Pénélope. Mais le librettiste de l'époque, Giacomo Badoaro, un libre penseur de l'aristocratie vénitienne, s'est plu à conjuguer dans son travail plusieurs dimensions : la tragédie antique avec l'intervention divine sur le destin des terriens, la fable populaire avec une cohorte de domestiques et de personnages du quotidien dont les désirs et les réflexions sont marqués au coin du bon sens, un récit amoureux accentuant, après la douleur de l'absence, l'érotisme des retrouvailles entre le vainqueur de Troie et son épouse et, in fine, une narration philosophique sur les méandres entre le doute et la vérité.
Si cette production est — incontestablement — une belle réussite vocale et musicale, la mise en scène de Christophe Rauck, tantôt insignifiante, tantôt massive ne répond guère aux précautions évoquées par son responsable : « pour un metteur en scène », explique-t-il dans une note d'intention, « il s'agit de se mettre en retrait, de ne pas être bavard… le théâtre donne des outils pour faire comprendre au mieux les enjeux de l'intrigue et les relations entre les personnages ». À déplorer un manque d'équilibre dramaturgique entre les différents actes ponctué, ici, d'un rideau trop abaissé sur la scène, là, d'un puéril mouton à roulettes servant de monture à Minerve. Sans parler de l'énigmatique étincelle d'un projecteur dégringolant de la voûte et dont personne ne pouvait dire, à l'issue du spectacle, s'il pointait volontairement l'intervention de l'Olympe ou s'il était le fruit d'un court-circuit. Deus est regit qui omnia ? Des incongruités que n'aidait en rien l'incompréhensible sélection des costumes par Coralie Sanvoisin. L'Orchestre Les Paladins fait en revanche merveille même si la distance parfois prise lors de récitatifs avec les artistes par leur directeur Jérôme Correas, au clavecin avec Brice Sailly, laisse à penser que cette machine bien huilée se trouve à la fin d'une harassante tournée.
Importante dans cette œuvre, la distribution vocale séduit par les capacités des chanteurs à harmoniser leur « parlé, chanté » et à brillamment nuancer leurs interprétations. Surtout que plusieurs d'entre eux campent différents personnages. Dans le rôle-titre d'Ulysse, le ténor Jérôme Billy ne manque pas de puissance ni de conviction pour exprimer son amertume à l'acte I ou son idylle retrouvée à la fin de l'acte III dans un duo émouvant avec Pénélope. Une compagne fidèle magnifiquement interprétée par Blandine Folio Pérès : diplômée du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, la mezzo-soprano impressionne vocalement et scéniquement, notamment dans sa longue scène de lamentation à l'acte I.
D'inégale valeur pris séparément, le ténor haute-contre Jean-François Lombard (Pissandro, L'Humana Fragilità, Ericlea, un Feacio), le ténor Carl Ghazarossian (Eurimaco, Amfinomo, Giove) et la basse Virgile Ancely (Antinoo, Il Tempo, Nettuno, un Feacio) produisent ensemble un admirable trio « Aime donc, aime de nouveau », doublé d'un petit ballet bien rythmé. La soprano Dorothée Lorthiois (Minerva) frappe le public de ses vocalises aiguës lorsqu'elle se découvre à Ulysse à l'acte I tandis que sa collègue Anoushka Lara (Telemaco) émeut lorsqu'elle reconnaît son géniteur. Une mention spéciale pour l'imposante performance vocale de la soprano Françoise Masset dans le rôle du pâtre Eumete et pour celle, quasi gymnique, du ténor Matthieu Chapuis pour son exigeante composition du glouton Iro. Une fin de saison lyrique en attendant « Narcisse, Narcisse », un « hybrid pop opera », création de l'Opéra de Nice pour petit ensemble vocal et instrumental prévue le 9 juin prochain avec la Philharmonie niçoise.
Nice, le 1er juin 2013 À propos
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